Daniel Leduc
Le 19 août dernier, Pierre Schaeffer est décédé à l'âge de 85 ans en Provence. Reconnu comme étant le "père de la musique concrète", pour ne pas dire le grand-père, il est Polytechnicien de formation, penseur, chercheur, écrivain, homme de radio -- il est entré au service de la Radiodiffusion française peu après la deuxième guerre mondiale -- et compositeur.
Pourtant, lors de son passage à Montréal, il y a quelques années, alors qu'il recevait le prix Marshall McLuhan pour ses travaux dans le domaine des communications, Schaeffer avait refusé de s'exprimer sur son oeuvre sonore, pour parler uniquement de ses écrits. Il s'agit d'une attitude paradoxale, il va sans dire. Mais ce personnage provocateur a finalement peu composé dès l'âge de 50 ans -- son oeuvre musicale tient en quelques disques compacts --, convaincu de la nécessité de penser plutôt que de réaliser des pièces.
Son fameux "Traité des objets musicaux" demeure le cornac de ce nouveau paradigme en matière de perception musicale et sonore. La notion d'objet sonore permet de décrire le son dans une dimension plus vaste que celle du solfège musical traditionnel, celle de la typo-morphologie. P. Schaeffer laisse ainsi comme héritage un nouveau langage musical, qui pourtant, aujourd'hui encore, ne possède toujours pas de syntaxe. Ce langage se traduit en un art sonore contemporain, l'électroacoustique, et trouve son refuge esthétique dans l'acousmatique, où les règles syntaxiques restent à écrire malgré d'importantes balises esthétiques (dont celles du compositeur François Bayle). D'ailleurs, en conclusion du "Traité des objets musicaux", Schaeffer conclut qu'il reste encore à écrire un "Traité des organisations musicales". Des volontaires dans la salle?
Schaeffer, comme tout créateur d'avant-garde, dérange. Toutefois, sa démarche qui se veut musicale a ceci de particulier qu'elle puise, entre autres, dans les domaines de la psycho-acoustique, de la linguistique et de la phénoménologie. D'ailleurs, son oeuvre est reconnue ou discutée non seulement dans le monde musical, mais aussi dans d'autres domaines tels que celui des communications.
la fin de l'été, le Festival d'art acousmatique Futura (oeuvres sonores sur support destinées à être projetés en salle sans support visuel, à l'image d'un cinéma pour l'oreille) devait rendre hommage au compositeur à Crest (France). Pour l'une des premières fois dans l'histoire de la musique concrète, cet hommage aura été posthume.
Le fleuve de l'art acousmatique poursuit son cours. Si les leçons sont encore difficiles à tirer, le tsunami créé dans le grand océan du monde sonore ne laissera pas indifférentes les actuelles et futures générations de créateurs et de penseurs. Schaeffer a ouvert une boîte aux trésors, l'a refermée et l'a placée sur la dernière tablette du haut. Sans doute parce qu'il est ainsi plus tentant d'aller y voir...
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