Dan Lander, Zoo

1. Talking to a Loudspeaker (1988-90) 24:28
2. Destroy: Information Only (1991) 33:33
3. Failed Suicide (1991) 5:10
4. City Zoo/Zoo City (1992) 12:22
Préface: Christof Migone
Image: Mary Alton

IMED 9525

UPC 7-71028-95262-5


Dan Lander (Oshawa, Ontario, 1953)
Dan Lander a étudié les arts plastiques au Nova Scotia College of Art and Design à Halifax (Nouvelle-Écosse), où il s’est intéressé particulièrement à la performance, à la vidéo et à l’enregistrement sonore. Ses études terminées, il a monté un modeste studio d’enregistrement dans son appartement et mis au point une méthode de composition inspirée de son intérêt pour la phonographie et le référentiel dans les sons enregistrés. Ce même intérêt l’a conduit à diriger la publication de deux anthologies: Sound by Artists (1990) et Radio Rethink: Art, Sound and Transmission (1994). Il a réalisé l’émission radiophonique sur l’art The Problem with Language (CKLN, Toronto) de 1987 à 1991. Ses œuvres pour radio et haut-parleurs utilisent des enregistrements sonores de situations réelles, organisés en prêtant l’oreille aux façons dont le sens circule dans le conduit invisible du résonnement et de l’ouïe. Les œuvres de Dan Lander ont été largement radiodiffusées en Amérique du Nord et en Europe.

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Préface
Visite guidée

Dan Lander est espiègle dans sa façon d’utiliser ses outils: on l’entend sourire à plusieurs occasions sur ce disque. Son écriture possède un sens du ludique et du naturel que l’on rencontre rarement. Voici des œuvres sans «oush», sobres, parfois douloureuses et toujours passionnées. Œuvres de passion, comme toutes les œuvres marquées par l’intelligence, la précision et le cran. Lander a connu plusieurs vies -- photoreporter, chauffeur de camion, réalisateur vidéo, gorille-gramme, batteur, performer, entre autres -- qui imprègnent ses compositions d’une maturité dans le contenu, d’une économie dans la forme et d’une sobriété immédiate.

Ce disque suit la production de Dan Lander de façon chronologique, à partir du traitement de la masse sonore de la radio, ou de son absence, dans Talking to a Loudspeaker (Parler à un haut-parleur). L’appel «Mister Speaker» («Monsieur le président»), les variations sur la qualité de la radiodiffusion et le clin d’oeil à notre phobie des temps morts sur les ondes sont des moments classiques dans le panthéon fraîchement inauguré des classiques radiophoniques. Avec une oreille douée pour l’incision, Lander prend votre radio, la couche et la démonte pièce par pièce. Quand il vous la remet réassemblée, vous n’êtes pas certain de vouloir qu’elle fonctionne encore…

L’écriture par les sons que Lander exécute peut paraître simple, mais elle ne manque pas de subtilité. Dans Destroy: Information Only (À détruire: pour information seulement), Lander récrit son corps qui se tordait de douleur, à l’époque où il avait des lésions au dos, à travers les anecdotes de ceux qui le connaissait alors. Confronté à ce corps tout en sons, à ce corps sans ornements, l’auditeur peut parfois se sentir mal à l’aise. Ces corps sonores sont nus; ils ne nous épargnent rien de leurs banalités quotidiennes et de leurs émissions flatulentes. Un effet de miroir est à l’œuvre dans cette composition qui nous permet de nous voir dans le miroir, juste à la pointe du jour, avec une nuit qu’on voudrait oublier étalée sur tout le visage. Il y a cependant de la beauté dans cette brutalité, une immédiateté que vous n’êtes pas près d’oublier.

Les chasseurs et cueilleurs de sons doivent tuer avant de mastiquer. Les voix désincarnées de Failed Suicide (Suicide raté) sont des crudités, coupées de leur origine mais toujours en vie. Elles participent de bon gré aux jeux de l’enregistrement et du montage. Elles sont les mortes vivantes de l’art audiophonique, ce qui amène inévitablement la question suivante: Que goûtent-elles?

City Zoo/Zoo City réside dans le royaume numérique, la technologie en jeu se confondant étrangement avec l’idée que «une fois de plus, la technologie se substitue à la nature». Le montage numérique augmente de façon exponentielle les possibilités s’offrant à l’artiste de manipuler l’original. Dans City Zoo/Zoo City (Zoo municipal/ville zoologique), l’animalité devient un concept numérique, les sons animaux sont transformés en sons mécaniques horrifiants. La nature de ce paysage zoologique souligne clairement les paradoxes inhérents à un tel site et, par extension, à une technologie de ce genre.

L’espace que l’auditeur peut occuper dans ces œuvres est expansible, les fils narratifs demeurant pendants, prêts à être repris. Lander fait référence à la notion que son œuvre constitue une espèce d’écriture par le son, en premier lieu pour distinguer cette œuvre de la musique. Toutefois, comme l’écriture, elle est d’un genre particulier, composée pour le véhicule de la radio; comme telle, elle s’oppose de manière explicite à l’hégémonie de la radio existante. Il s’agit d’une radio rendue vulnérable, du fait qu’elle retient du corps autant qu’il est possible de retenir dans cet air, le plus raréfié qui soit. C’est dans ces inscriptions que l’art radiophonique trouve un refuge incertain.

--Christof Migone, Halifax (Nouvelle-Écosse), avril 1995


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Talking to a Loudspeaker

© 1988-90 h:m:s 0:24:28 CD 9526 > 1
Mister Speaker (Monsieur le président); The Weather (La météo); The News (Les nouvelles); Call Now (Appelez maintenant); Talking About Ether (À propos de l’éther); Broadcast Quality? (Qualité de diffusion?); The Sponsors (Les commanditaires); We Live in the Age… (Nous vivons à l’époque…); Dead Air (Temps mort sur les ondes); Here Comes Everybody (Voici tout le monde)

Bien qu’on traite la radio de médium chaud, à cause de son ouverture relative à l’interprétation quand on la compare à la télévision, elle constitue néanmoins un médium à sens unique. Par le biais du haut-parleur, l’auditeur est obligé de construire la signification des messages sans le bénéfice d’un mécanisme d’interaction. En outre, la radio comme nous la connaissons est limitée par une foule de facteurs prédéterminés: la qualité de la radiodiffusion, l’équilibre de la programmation, l’attrait d’un vaste public, la recherche sur la mise en marché, la voix travaillée, l’accès restreint, l’esclavage de la distribution musicale, l’uniformité des périodes de temps allouées, les spécifications techniques, les règlements touchant les permis et ainsi de suite. Talking to a Loudspeaker (Parler à un haut-parleur) joue avec quelques-unes de ces considérations.

Synopsis

·· Mister Speaker (Monsieur le président) est une visite tronquée à l’Assemblée législative de l’Ontario où les membres s’adressent à «Monsieur le président» sans obtenir de réponse. Le protocole est à l’ordre du jour, le temps alloué à la période des questions servant à maintenir sa prédominance.
·· The Weather (La météo), composée d’extraits de reportages radio réels, commence par une compilation des figures de style subjectives inhérentes à de telles présentations, puis se transforme en une interprétation minimaliste du nombre: incantation célébrant le degré, le calcul et la prévision.
·· The News (Les nouvelles), présente à l’auditeur deux points de vue, l’un venant de la gauche (canal de gauche), l’autre de la droite (canal de droite). Ridiculisant la notion simpliste de ‘programmation équilibrée’, cette section insinue que l’interprétation des ‘événements’ rapportés aux nouvelles dépend de facteurs au-delà du contrôle des médias proprement dit.
·· S’ouvrant par une série de numéros de téléphone visant à permettre une interaction culturelle maximale, Call Now (Appelez maintenant) devient une émission de ligne ouverte où l’animateur garde son sang-froid même si aucun auditeur ne parvient à établir la communication à cause de ‘problèmes techniques’.
·· La complexité de l’infrastructure de transmission ainsi que de la mise à jour et du contrôle de la technologie est le sujet traité par le technologue radio de service dans Talking About Ether (À propos de l’éther). Grâce à ses machines, l’univers de la transmission du son est transposé dans le mode visuel et son analyse, qui semble scientifique et objective au premier abord, se termine par l’affirmation que la radio «doit faire l’objet d’un strict contrôle».
·· Broadcast Quality? (Qualité de diffusion?) pose une question: «Est-ce une radiodiffusion de qualité?», en reconnaissant implicitement que le monopole, appliqué et maintenu par des contrôles arbitraires, est un phénomène malsain. La santé, dans ce cas, se conserve par l’irrévérence et l’humour.
·· Dans The Sponsors (Les commanditaires), le compositeur bâtit un récit à l’aide d’annonces publicitaires à la radio, créant ainsi une condensation simple de la manipulation du désir qui domine les médias contemporains.
·· We Live in the Age… (Nous vivons à l’époque…) -- sous-entendu: où on doit exprimer l’évidence -- se compose de quelques mots, prononcés dans la fantasmagorie auditive d’un paysage sonore vivant. La pièce représente une tentative d’insuffler de la vie dans l’espace mort de la radio, en autant qu’il soit possible de parler de souffle.
·· Ce qui nous amène à Dead Air (Temps mort sur les ondes) et à l’affaissement de l’autorité, qui crée une présence articulée par l’absence.
·· L’œuvre se termine par Here Comes Everybody (Voici tout le monde), une liturgie téléphonique, radiophonique et ironique dont le chant endort les théories utopiques de la communication globale: voici venir tout le monde, voici partir personne.

Talking to a Loudspeaker a été commandée par New American Radio and Performing Arts Inc. (New York, ÉU, 1988, 90). L’œuvre a été créée au réseau de la National Public Radio (NPR): la partie I en 1989 et la partie II en 1991. La dixième section, Here Comes Everybody, est de Gregory Whitehead et a été exécutée par Gregory Whitehead (au téléphone), Dan Lander et un auditoire en direct au cours de l’émission Radio Free Banff au poste RADIA 89,9 FM à l’automne 1989. La composition a été réalisée dans le studio privée de l’artiste, et construite à l’aide d’une lame de rasoir et d’une bande magnétique analogique 1/4". Merci à David Barteaux, Regine Beyer, Igor Bevc, Hanna Bulko, Peter Bulko, Hank Bull, Janice Carbert, Stephanie Carbert, Andy Dowden, Colin Griffiths, Ian Murray, Claude Schryer, Deirdre Swan, Helen Thorington et Gregory Whitehead.


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Destroy: Information Only

© 1991 h:m:s 0:33:33 CD 9526 > 2
Employment (Emploi); Marvin; Yvonne; Loon (Huart); Dave; Spasm (Spasme); Darlene; Ann; Dan

Le titre Destroy: Information Only (À détruire: pour information seulement) vient d’un tampon que le Workers’ Compensation Board (bureau d’indemnisation des travailleurs) appose sur les copies de microfilms se rapportant à la demande d’un particulier. Alors que je vivais à Vancouver en 1976, j’ai eu un problème au dos qu’on croyait être la conséquence de plusieurs années de travail comme manœuvre. Ces enregistrements ont été réalisés alors que je visitais des amis qui me connaissaient à l’époque où j’ai dû subir une opération chirurgicale. Tout comme pour le myélogramme sans résultat -- un myélogramme est un examen au cours duquel on prélève du liquide spinal qu’on remplace par une teinture afin de rendre certains détails visibles aux rayons X -- l’investigation n’a pas révélé ce qu’on aurait attendu ou même désiré. Les souvenirs évoqués sont ceux de chaque individu et peuvent coïncider ou non avec la mémoire que j’ai moi-même des événements en question.

Synopsis

·· L’œuvre s’ouvre par Employment (Emploi), dont le bourdon symbolise la routine du travail, un chant d’espoir -- We Shall Overcome («Nous vaincrons») -- et le son d’objets fracassés représentant la violence industrielle et, dans ce cas, une blessure. Comme prélude au reste de la pièce, Employment fournit un décor quasi musical propre à la digestion de ce qui suit.
·· Marvin, dans l’intimité de son appartement, fait du café avant de se remémorer les moments qui ont suivi l’accident. Son premier souvenir semble lié à la sensation de douleur. Toutefois, il s’écarte rapidement du sujet pour se lancer dans un jeu vidéo, une façon peut-être d’oublier autant le passé que le présent.
·· Yvonne, la mère, évoque des souvenirs associés à son intuition maternelle et aussi à sa propre opération au dos. Elle raconte comment elle a senti des frissons dans le dos au moment précis où le chirurgien a inséré son couteau dans le dos de son fils.
·· Dans Loon (Huart), la flatulence devient une métaphore pour la perte de contrôle des fonctions biologiques en général. À chaque émission de gaz, une nouvelle relation s’établit avec celle-ci à travers la conversation entre campeurs.
·· Dave ne se souvient pas de grand-chose. Il parle de l’importance du rock and roll, se plaint du prix des billets pour les concerts de Yes et décrit le décor d’un film de Hollywood, le tout en préparant du maïs soufflé.
·· Dans la section suivante, une porte qui grince, munie de clochettes, déclenche l’articulation spasmodique du mot Spasm (Spasme) établissant ainsi un rapport entre le mécanique et l’émotif.
·· La mémoire est activée consciemment par Darlene, la soeur, lorsqu’elle et son frère traversent en voiture un quartier où ils ont grandi et dont ils évoquent les souvenirs. Toutefois, pour ce qui est des événements en question, elle admet volontiers avoir des trous de mémoire, et que «ses souvenirs sont vagues».
·· L’élevage et l’abattage de poulets est un sujet que Ann aborde avant d’élaborer sur un accident de voiture au cours duquel elle a elle-même ressenti une douleur importante, ce qui l’amène à conclure: «J’aimerais pouvoir oublier».
·· Enfin il y a Dan qui, lors d’un trajet en autobus, raconte une histoire d’aigles qui mangent le placenta des vaches jusqu’à ne plus être fonctionnels et nécessiter les soins d’un vétérinaire. Il termine par une série d’affirmations au sujet d’un visage et de son propre refus de reconnaître le passage du temps ainsi que sa vieillesse immanente.

Destroy: Information Only a pu être réalisée grâce à une subvention du Service des Arts médiatiques du Conseil des arts du Canada. Des extraits de l’œuvre ont été créés en 1991 au cours du festival Radio Contortions, à Montréal. Cette pièce a été réalisée au studio privée du compositeur, et cons-truite à l’aide d’une lame de rasoir et d’une bande magnétique analogique 1/4". Merci à Darlene Blair, Janice Carbert, Dan Dornan, Eva Ennist, Ann Kitto, Yvonne Louden, Marvin Maylor, Danita Noyes, Dave Paisley, Lindsay Rodgers et au Workers’ Compensation Board de la Colombie-Britannique.


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Failed Suicide

© 1991 h:m:s 0:05:10 CD 9526 > 3
Six personnes se sont réunies un soir à mon appartement, chacune ayant en main un microphone et un magnétophone. Cette rencontre a donné lieu à un récit corporel communiqué par la mastication de la pensée et de la subjecti-vité. Le sentiment de perte qui accompagne la désincarnation de la voix enre-gistrée devient une métaphore pour la perte en général. Il nous reste un véhicule pour la reconstruction du sens et de l’état d’objet: le résidu que représente le son enregistré.

Synopsis

Le texte de Failed Suicide (Suicide raté) traite des notions de disparition et de sens (nous devons dire quelque chose dont nous pouvons nous rappeler). Une déclaration au sujet d’un suicide suscite un questionnement à propos d’une expérience aux confins de la mort. Une question phénoménologique survient sur la façon dont nous distinguons un chien d’un chat. La réponse à cette question est fournie par un chaton et un humain. Vers la fin, une conversation porte sur la difficulté de parler. L’un des participants conclut par cette affirmation: «on doit décider si c’est le matin ou le soir; ou si on a bien dormi; ou bien mangé, ou mal, ou trop… ou pas assez».

Failed Suicide a été réalisée au studio privé de l’artiste, et construite à l’aide d’une lame de rasoir et d’une bande magnétique analogique 1/4". L’œuvre a été créée le 14 mars 1991 lors de l’événement Radio Possibilities à la Forest City Gallery, et radiodiffusée simultanément au poste CHRW FM Radio Western à London (Ontario). Merci à Benoît Fauteux, Geneviève Heistek, Julia Loktev, Christof Migone, Diane Obomsawîn, Paik et Rosa.


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City Zoo/Zoo City

© 1992 h:m:s 0:12:22 CD 9526 > 4
Cette polyphonie de contradictions considère le zoo comme un environnement urbain abritant non seulement diverses espèces d’animaux ‘sauvages’ mais aussi l’infrastructure technologique nécessaire à l’entretien et à la présentation de ce complexe. Des sons ‘sauvages’ se superposent à des sons mécaniques, la voix humaine ‘chante’ de concert avec les animaux, les perroquets jacassent sur fond de bande sonore d’un vidéo promotionnel. Par cette convergence d’information sonore je souhaite susciter chez l’auditeur un sentiment d’émerveillement face à la beauté de la région ‘sans loi’, tout en faisant allusion à une condition humaine exigeant ordre, confinement et contrôle.

Synopsis

L’œuvre repose beaucoup plus sur un environnement sonore ambiant que les œuvres précédentes, dont le message s’articule essentiellement autour de la parole. La pièce s’ouvre par l’énoncé «au zoo, une fois de plus, la technologie se substitue à la nature». À mesure que la composition progresse, on entend un père parler à son fils de l’oeil d’un aigle, puis lui intimer de «laisser le serpent tranquille», et finalement une conversation entre un jeune enfant en colère et ses parents qui suggèrent de se rendre au MacDonald’s du zoo pour le calmer. La dernière section inclut des clients dans la boutique qui font divers commentaires sur les objets qu’ils désirent acheter comme souvenirs de leur visite au zoo.

City Zoo/Zoo City (Zoo municipal/Ville zoologique) a été commandée par l’émission radiophonique Sons d’esprit (CKUT FM, Montréal) grâce à une subvention du Conseil des arts du Canada. Elle a été créée sur les ondes de CKUT FM au cours du 7e Printemps électroacoustique en juin 1992. Tous les enregistrements ont été effectués au Metro Toronto Zoo. L’œuvre a été réalisée au studio EARS du Banff Centre for the Arts, au moyen d’un système audionumérique.


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© 1997 DIFFUSION i MéDIA, dim@cam.org
Mise à jour le 15 mai 1997 / Updated on May 15th, 1997

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