Esthétique musicale de la technotranse


En tant que produit d'une expérience synesthésique, la technotranse est donc induite par une surstimulation des sens provoquée par une dépense d'énergie importante. Elle est aussi caractérisée par une attitude esthétique syncrétique et anarchique produisant des formes esthétiques de type fonctionnel : les images et la musique visent l'adéquation parfaite entre leur forme et leur fonction. Elles n'évoquent pas, ne re-présentent pas mais doivent rendre absolument présent : pas d'arrière-mondes cachés à révéler. Elles permettent l'exploration "anartistique" des limites psycho-physiologiques de l'expérience sensible en vue d'une ré-appropriation paroxystique de soi. Elles fournissent des manifestations sensibles du chaos. Explorations intuitives de sensations élémentaires et exploitation des écarts maximum d'excitation nerveuse qui à elles seules réactualisent le catalogue général de la Gestalttheorie (psychologie de la forme) : variation d'intensité de lumière (laser, stromboscope), de couleur (contraste simultané, fluo), rythme (montage hallucinatoire de plans cut et contrastés en vidéo) ou images abstraites aberrantes (spirales, labyrinthes, motifs géométriques complexes, fractales, 3D...).
Les niveaux d'interprétation de la musique dite techno, dans ce contexte, ne peuvent que difficilement être rapportés à ce qui est défini habituellement par le terme de musique populaire, savante ou traditionnelle. Les fins et les moyens dans tous les cas ne sont pas comparables. Cette pratique de l'espace sonore joue sur de nombreuses ambiguïtés et contradictions qui problématisent et même invalident parfois toute comparaison.


Dans ce cadre de réception précis, puisque sa vocation première est d'être le véhicule de la technotranse, on rattachera la musique techno à l'esthétique fonctionnelle (6). A-t-on à faire à une ultime tentative d'humaniser des technologies décorporéisantes ou à une soumission totale à l'autoritarisme des machines et de leur rythme? Cette musique répétitive téléprésente (techniquement reproduite) en tous cas s'avère être d'une efficacité identique à celle des musiques de transe traditionnelles (co-présence des musiciens et des danseurs).
La structure et le dé veloppement de la forme musicale sont organisés de telle sorte à installer le cadre de la transe : le volume sonore et les infra-basses mettent le corps en vibration, le rythme (en Battements Par Minute) accélèrent les pulsations cardiaques, les motifs répétitifs (boucles) et nappes synthétiques informelles suspendent la flèche du temps, suspension dans un présent perpétuel. Mais comme on l'a vu tout à l'heure avec le narcissisme et l'hédonisme comme fin en soi, l'occultation de la valeur symbolique de l'espace sonore, des sons, des instruments de musique, des musiciens... ancre principalement, répétons-le, à un niveau fonctionnel la musique techno diffusée dans les raves.
Nous qualifierons de schizo-phonique, cette situation d'écoute dans le sens où au lieu d'ouvrir à des champs d'expérience spirituelle, cognitive ou sensible inédits, le raver est, d'une certain manière, anesthésié par le son, en situation de repli sur soi, en rupture par rapport à l'hétérogénéité du monde; peut-être s'agit-il aussi d'une mortification dans le cadre d'un néo-rituel que nous ne savons pour l'instant pas interpréter.
(6) Dans chapitre XII "L'esthétique fonctionnelle" de "Le geste et la parole" (Albin Michel) p.120 à p.137, A. Leroi-gourhan développe une analyse éclairante sur les objets d'usage pratique "qui laissent entrevoir des propriétés esthétiques particulières, directement attachées à leur fonction". Ý




Référence: http://www.metafort.com/synesthesie/syn6/guiganti/bruno2a.html