L'INGŠNERIE DE LA CONNAISSANCE

L'apport du constructivisme ý l'informatique

Sophie Godbout

sgodbout@fse.ulval.ca

DÈpartement de technologie de l'enseignement



Les informaticiens sont-ils ÈveillÈs ý la dimension humaine de leur mission ou sont-ils simplement des ´spÈcialistes des machinesª? Plusieurs encore dÈfinissent l'informatique comme Ètant l'art d'automatiser les calculs. D'abord, l'informatique thÈorique et formelle se dÈfinie comme Ètant la science de l'information; ensemble des techniques de la collecte, du tri, de la mise en mÈmoire, de la transmission et de l'utilisation des informations traitÈes automatiquement ý l'aide de programmes (logiciels) mis en oeuvre sur ordinateurs. V. Calculateur. (Robert).

Reste que la majoritÈ des informaticiens qui interviendront sur la communication, la perception et les stratÈgies cognitives d'individus et de collectifs de travail ne possËde pas la formation ni la pragmatique des communications, ni la psychologie cognitive, ni l'histoire des techniques, ni de l'esthÈtique.

Le phÈnomËne des nouvelles technologies ne se raproche-t-il pas des premiËres manifestations constructivistes? D'une part le but,d'autre part le mÈdia d'expression, de plus, ce mÈdia fait intervenir des algorithmes, les thÈories des schÈmas ainsi que l'implication de plusieurs individus s'exprimant avec des outils universels. Avant de poursuivre, il convient de dÈfinir le constructivisme afin de mieux saisir sa portÈe sur la sociÈtÈ.

Le contructivisme a pris naissance en Russie autour de la rÈvolution (1917), le but de ce regroupement d'auteurs et d'artistes (Taltine, Lissitski): se rapprocher du plus grand nombre possible d'individus dans la sociÈtÈ.

Histoire de l'art, mouvement artistique tendant ý substituer une plastique de plans et de lignes assemblÈes ý une plastique des masses. Constructivisme russe (1920).

Didactique, thÈorie qui considËre un objet de pensÈe comme "construit".

Quant ý la sociÈtÈ constructiviste, R.Bilodeau, dans son article Hypertexte, constructivisme et NTIC, dÈfinit les technologies comme appartenant ý la dÈmocratie au service de la sociÈtÈ(T.-S.2). En effet, les nouvelles technologies en s'associant au contructivisme, appellent d'autres concepts, le sociomÈdia (Barrett, 1992) et la mÈdiologie (Debray, 1991).

Le constructivisme

L'idÈologie constructiviste Ètait surtout dirigÈe contre tout esthÈtisme, conformÈment aux thÈories de Marx selon lesquelles ce sont les rapports de production qui dÈterminent les phÈnomËnes sociaux, politiques et intellectuels. Les objectifs du mouvement Ètaient avant tout sociaux, utilitaires et matÈrialistes. La mission de l'artiste Ètait d'exprimer les aspirations du prolÈtariat rÈvolutionnaire et de faire progresser, sur les plans physique et intellectuel l'ensemble de la sociÈtÈ.

Cela explique l'adhÈsion des constructivistes ý l'industrialisation de la production, ý la mÈcanisation de l'architecture et au renouvellement des techniques de communication de masse (photographie, typographie, etc.). L'apport le plus dÈcisif du constructivisme, hors du domaine de l'architecture, est en effet dans la publicitÈ, la mise en page et l'amÈnagement des salles d'exposition.

Par exemple, Mondrian, dans ses oeuvres picturales, renonÁait complËtement au monde des apparences physiques. ParticuliËrement dans Fox-trot (1930), o˜ un ´icÙneª est confinÈ dans les deux dimensions de la toile et limite le rÈpertoire plastique ý une grille orthogonale ou seules jouent les trois couleurs primaires et auxquelles s'ajoutent le noir et le blanc.

Historiel de l'ingÈnierie du collectif

Les agencements de mÈdias, de technologies intellectuelles, de langages et de mÈthodes de travail disponibles ý une Èpoque donnÈe conditionnent fondamentalement la maniËre de penser et de fonctionner en groupe qui a cours dans une sociÈtÈ (LÈvy, 1990). IngÈnieur, Douglas Engelbart fut au centre de travaux importants sur les usages sociaux de l'informatique.

Au milieu des annÈes cinquante, il avait imaginÈ des logiciels pour la communication et le travail coopÈratif appelÈs aujourd'hui des groupwares traduit par ´collecticielsª. Ces expÈrimentations comprenaient:

Malheureusement, les multiples dÈmonstrations publiques ý la fin des annÈes soixante n'ont pas modifiÈ l'idÈe que l'on se faisait dÈjý ý propos de l'informatique.

L'assemblage de l'Èlectronique et du cerveau humain

L'objectif des systËmes de coopÈration assistÈe par ordinateur Ètait d'articuler les systËmes cognitifs humains par l'intermÈdiaire de dispositifs Èlectroniques intelligents. La cohÈrence des interfaces est une condition essentielle pour faciliter la communication intuitive, mÈtaphorique et sensorimotrice avec l'ordinateur, plutÙt qu'abstraite, rigidement codifiÈe et dÈpourvue de sens pour l'utilisateur.

L'amÈlioration des interfaces proposÈes par le groupe d'Engelbart, a contribuÈ ý ´humaniser la machineª. Les agencements complexes de technologies intellectuelles et de mÈdias de communication qu'on appel encore systËmes informatiques, l'ensemble de ces ´couches techniquesª sont imbriquÈes au systËme cognitif humain.

L'Ètroite adaptation des interfaces aux particularitÈs du systËme cognitif humain, l'extrÍme attention aux moindres rÈactions et propositions de utilisateurs de ses prototypes, l'accent mis sur les mÈthodes pour installer de nouvelles technologies intellectuelles dans les collectifs de travail caractÈrisent le style technologique de Douglas Engelbart.

L'informatique esquisse de nouvelles prÈoccupations: l'intelligence collective, les structures cognitives des indivudus et des organisations. L'ordinateur n'est pas seulement un intrument ý augmenter le fonctionnement des groupes. Concevoir un collecticiel doit se faire en expÈrimentation permanente menÈe sur des groupes d'usagers rÈels en accompagnant et dirigeant la co-Èvolution des humains et des outils. De fait, pour assurer la participation, la technique aurait avantage ý augmenter ses contacts entre l'humain, LÈvy parle d'Ècologie cognitive.

La machine de l'intelligence

Les informaticiens se sont longtemps considÈrÈs comme des spÈcialistes des machines. Plusieurs encore partagent cette conception mÍme avec la multiplication des ordinateurs personnels et le mÈdium universel qu'est devenu l'informatique (rÈseaux).

Les logiciels comtemporains jouent un rÙle de technologie intellectuelle. Les rÈseaux informatiques modifient les circuits de communication et de dÈcisions dans les organisations mais surtout, modifient les rÈflexes mentaux des utilisateurs. La progression de l'information,l'Èlimination de certaines fonctions, l'appartion de nouveaux savoir-faire, la transformation de l'Ècologie cognitive reprÈsentent de nouveaux besoins. Verra-t-on l'Èmergence d'ingÈnieurs de la connaissance et d'animateur de l'Èvolution sociotechnique des organisations tout autant que de spÈcialistes des machines?

Le versant humain et le versant objectif de l'informatique ne peuvent Ítre confiÈs ý deux mÈtiers diffÈrents: c'est lors de la conception d'un logiciel ou d'un circuit que se dÈcident les joies ou les peines de travailler avec un ordinateur: code de programmation, communication, rÈseaux, nouvelles interfaces, ...

L'incompÈtence technique

L'incompÈtence technique est dÈfinie par LÈvy comme Ètant non pas une erreur de programmation; elle se manifeste surtout par la complexification de petits dÈtails d'un programme, c'est-ý-dire, les branchements et les usages. Le concepteur de logiciel doit concevoir, planifier et dÈcider de ces deux variables. Ce sont ces petits dÈtails qui parfois complexifient un programme.

Le succËs de certains progiciels tient ý la relation de l'interface ý l'humain (rappelons-nous la raison d'Ítre d'Apple). La connaissance des replis d'une machine ou d'un systËme d'exploitation devient un projet de convivialitÈ. D'ailleurs ý ce sujet, dans le tÈlÈ-sÈminaire Du DOS ý Windows: pas si Èvident, Nancy Chenel, souligne les difficultÈs des interfaces ý la ´rencontreª des humains.

LÈvy nous rappelle que le collecticiel est loin d'Ítre une invention de ´purs techniciensª. Peut-on prÈsupposer repenser la fonction de l'informaticien? L'ingÈnierie des connaissances, une future discipline, puisera dans les savoir-faire des futurs utilisateurs. Et c'est en se rapprochant des ethnographes et des artistes que les concepteurs de logiciels et les analystes informatiques dÈcouvriront l'Èthique.

Sophie Godbout, modifiÈe le 2 mai 1996



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Historiel de l'ingÈnierie du collectif

L'assemblage de l'Èlectronique et du cerveau humain

La machine de l'intelligence

L'incompÈtence technique



BIBLIOGRAPHIE

BARRETT, E. (1992), Sociomedia, Cambridge, Ma, The MIT Press.

DEBRAY, R (1991), Cours de mÈdiologie gÈnÈrale, Gallimard, Paris

LŠVY, Pierre (1987). La machine univers. CrÈations, cognition et culture informatique. La DÈcouverte, Paris, (Prix 1988, Association franÁaise des informaticiens).

LŠVY, Pierre (1989). L'invention de l'ordinateur. in ŠlÈments d'histoire des sciences, Bordas, Paris.

LŠVY,Pierre (1990). Les technologies de l'intelligence. L'avenir de la pensÈe ý l'Ëre informatique. Šd. La DÈvouverte, Paris.

MARX, Karl (1963). Oeuvres choisies. tome 1, Gallimard, Paris.

HONOUR, Hugh, FLEMING, John (1988). Histoire mondiale de l'art. Nouvelle Èd. Bordas, Paris, constructivisme p.623-624.