Volume 1, numéro 1

Une première bibliographie sur l'hypertexte
De l'encyclopédie comme hypertexte à l'hypertexte universel
 

Pierre Henrichon

L'encyclopédie, de par son ambition totalisante face au savoir et aux choses-objets du savoir, ne pouvait qu'imposer la mise en place de raffinements textuels poussant à leurs extrêmes limites les possibilités techniques de l'imprimé : ordonnancement des signifiés par les signifiants (l'ordre alphabétique), index, système de renvois, impression de suppléments annuels et d'errata. Ces raffinements ont tenu le coup jusqu'à ce jour, ou presque. L'explosion des connaissances, leur spécialisation presque abusive, les coûts sans cesse croissants du papier, rendent le projet encyclopédique en tant que tel de plus en plus utopique et, sous sa forme imprimée, de plus en plus périlleux.

Mais les contraintes et limites sont surtout sociotechniques. Alors que les bibliothèques publiques et universitaires voient leurs budget d'acquisitions réduit comme peau de chagrin et de désolation, et qu'une part croissante de leurs maigres ressources doit être allouée à la mise en place de matériel de consultation de banques de données, de navigation sur Internet, de mise en réseau et en commun de leurs ressources documentaires, elles ne peuvent plus accepter les coûts exorbitants de gros ouvrages encyclopédiques sur support papier (et qui résistent mal aux affronts des milliers de consultations annuelles qu'elles doivent subir).

Il y a longtemps déjà que, dans les milieux savants, les officines technocratiques et les grandes entreprises, l'on se bute aux limites de l'univers de l'imprimé. Aussi, ne faut-il guère se surprendre que dès la fin de la seconde guerre mondiale, des visionnaires comme Vanevar Bush, avaient conçu des modes de conservation et de consultation des données du savoir sous d'autres formes que celle des feuillets in-quarto ou in-octavo. L'avènement de l'informatique et de ses réseaux, accompagné de la massification de l'ordinateur, allait leur donner la possibilité d'explorer de nouveaux modes d'archivage, de mise à jour et de consultation de masses de plus en plus monumentales d'informations. Prenant appui sur les avancées des sciences cognitives, des utopies des recherches en intelligence artificielle, et de la mise au point de supports de stockage à très grande capacité, les spécialistes des sciences informatiques et de la documentation mettaient au point une nouvelle technologie du texte : l'hypertexte.

Mais tout en faisant éclater les limites techniques de l'imprimé, l'hypertexte allait aussi se révéler fécond en bouleversements dans la sphère sociale. En effet - et je résume ici grossièrement - l'hypertexte allait ouvrir la porte à de nouveaux modes de consultation-construction du savoir. Le livre était refermé sur lui-même - parcourant, dans le cas de l'encyclopédie, le cercle sans fin de ses renvois en nombre fini - alors que l'hypertexte, à cause de la plasticité de son support et la possibilité de sa dissémination en réseau, est infini en puissance.

L'hypertexte s'enrichit de ses lecteurs. Il peut se développer à chaque lecture, empruntant de nouveaux parcours, brisant le cercle obligé de l'encyclopédie ou le vecteur univoque du récit traditionnel.

La bibliographie qui suit vous donne des repères pour suivre l'histoire du passage de la plus grande réalisation de la technologie du livre - l'encyclopédie - au texte technologisé : l'hypertexte. À défaut de pouvoir tout consulter les ouvrages recensés ici, je vous invite à lire au moins les suivants. Vous verrez, le papier recèle encore bien des trésors.

Elizabeth L. EISENSTEIN, The printing press as an agent of change : communications and cultural transformations in early-modern Europe, Cambridge, Angleterre, Cambridge University Press, 1979, 2 v. xxi, 794 p.
Un livre monumental. Une étude brillante, érudite et stimulante sur les effets sociaux et culturels de l'invention de l'imprimerie. Un abrégé en français existe pour ceux qui ne lisent pas l'anglais.

Alain REY, Encyclopédies et dictionnaires, Paris, Presses Universitaires de France, coll. Que sais-je ?, no 2000, 1982, 128 p.
Du directeur des dictionnaires Robert, une excellente histoire des efforts encyclopédiques à travers le monde. Un chapitre est consacré aux structures textuelles, notamment au système de renvois. De plus, toute la métaphore de la circularité du discours comme moyen d'embrasser l'unité du savoir est discutée. À rapprocher des thèses de V. Bush et de Nielson sur l'hypertexte. Bibliographie succinte mais pertinente.

Sur Internet :
Vanevar BUSH, «As We May Think», The Atlantic 176.1 (July 1945):101-108.
Texte cité par tous comme marquant le début de l'idée d'hypertexte, vu comme étant un système complet de références sur l'ensemble du savoir considéré comme réseau de concepts.

Tim GUAY, WEB Publishing Paradigms, avril 1995, Simon Fraser University
Présentation historique, philosophique et socioculturelle de l'hypertexte. Rempli de liens et de sauts à d'autres sites. Constitue une bonne, bien que brève, introduction à la nature et à la signification sociale et culturelle de l'hypertexte. Établit des liens avec les efforts de classification du savoir et des livres au Moyen Age et à la Renaissance.

Je vous invite également à prendre connaissance de l'ouvrage collectif :
Littérature générée par ordinateur qui présente les contributions réunies lors des journées d'études internationales Littératures et Informatique organisées à Paris du 20 au 22 avril 1994.


Bibliographie complète
Ne montre que la pointe de l'iceberg de la monumentale documentation qui existe, surtout en anglais, sur l'hypertexte. Présente des écrits sur l'histoire du projet encyclopédique et des utopies qu'il suscita, utopies dont l'hyperetxte semble parfois un écho (souvent très résonnant).