Volume 1, numéro 1 | |
Mais où sont les hypertextes d'antan ? De la technologie du texte au texte technologisé |
|
|
|
Michel LacroixTout texte est une mise en forme du temps, une «double» expérience
Ces expériences de lecture, certains ne les savourent qu'éternellement pareilles -- ce qui suscite une littérature de série, les Bob Morane et les Danielle Steel --, alors que d'autres les souhaitent variées, toujours différentes, toujours nouvelles -- d'où le culte de l'avant-garde et de la modernité. Une bonne part du succès de l'hypertexte en général repose sur cet «effet de nouveau», une bonne part de ses difficultés
Mon intention n'est pas ici d'arbitrer le débat qui a cours entre
«littérature» et «hypertexte», -- fort intéressant au demeurant, pour peu que l'on s'affranchisse des préjugés qui collent inévitablement à ces deux termes -- mais de me pencher sur un aspect plutôt paradoxal de l'hypertexte. La contradiction est la
Mais, me dira le lecteur curieux, quels sont donc ces prédécesseurs de April March : de la bifurcation à l'hypertextualité
À la différence des trois autres oeuvres, April March n'a jamais été écrite, seulement pensée, Herbert Quain étant l'un de ces nombreux écrivains imaginaires qui peuplent les nouvelles de Borges. (Note 2) Ce roman virtuel possède néanmoins de nettes caractéristiques hypertextuelles, parmi lesquelles, au premier plan, la ramification. En effet, de même que le premier chapitre est suivi d'un groupe de trois seconds chapitres possibles, chacun de ces trois chapitres se subdivisent en trois troisièmes chapitres potentiels. Aussi l'essentiel de ce texte fictif, au sens littéral, en est la structure, dont Borges donne lui-même, dans sa nouvelle, le schéma Au premier coup d'oeil, pour qui a navigué quelque peu sur les mers cybers, la nature hypertextuelle du roman de Quain est évidente dans son arborescence, dans le fait que le lecteur se voit offrir par l'auteur le choix du parcours. Là où, dans un texte «traditionnel» le lecteur doit obligatoirement suivre de page en page et de chapitre en chapitre la trajectoire unique de l'histoire, dans April March comme dans les hypertextes, le lecteur se trouve placé devant une multitude de chemins potentiels (indiqués par les liens). Pour rester en terrain borgésien, l'on pourrait dire que l'hypertexte est un « jardin aux sentiers qui bifurquent ». On touche là à une des particularités les plus significatives de l'hypertexte, car ces changements d'ordre narratif modifient en profondeur les pratiques de lecture. Lire un hypertexte est donc une expérience révolutionnaire en ce que, comme le signale George Landow, «l'hypertexte crée un lecteur actif et qui, parfois, va même jusqu'à s'immiscer dans le texte même». (Note 3) Pour comprendre l'hypertexte, il est primordial de comprendre la signification de ce nouveau rapport au texte, de ce nouveau type de lecture, et tel a été le but de cette chronique. Toutefois, il importe aussi d'aller au-delà afin de se demander s'il n'y a pas plusieurs degrés dans le niveau d'activité du lecteur, plus d'un genre d'hypertexte, plusieurs dimensions au phénomène de l'hypertextualité, etc, et c'est pourquoi je reviendrai sur ce sujet dans mes prochaines chroniques. À suivre à la
|