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Caroline Naphégyi : Dans une lettre envoyée à Jean de Loisy, vous mentionnez qu'un bon nombre d'artistes parmi ceux qui sont exposés dans Connexions Implicites sont des artistes avec qui vous travaillez. Cela conduirait à penser que le réseau dont il est question est lié à un critique, un organisateur d'exposition, par une position établie ? Éric Troncy : J'ai effectivement formulé cette remarque et c'était sans doute inutile car Jean de Loisy m'avait à maintes reprises appelé pour savoir où il pouvait se procurer des oeuvres des artistes en question. J'en déduis donc que mon association avec ces artistes était relativement claire et il est vrai que pour certains d'entre eux, j'ai eu souvent la volonté et le plaisir de proposer des cadres de visibilité directe (disons pour faire simple, des expositions) au développement de leur oeuvre. Ma conviction personnelle, dans cet univers des arts visuels, se fonde effectivement sur le travail en évolution constante d'un petit nombre d'artistes, ce que d'aucuns s'empressent de caricaturer en dénonçant le projet &laqno; d'exposer ses copains ». Du mieux que je peux, j'essaie de comprendre cette remarque, que fatalement je renvoie in fine à son impuissance et à son idiotie : je ne suis pas journaliste et mon idée n'est pas de couvrir &laqno; toute » l'actualité. L'activité de critique consiste à émettre des choix, qu'ils soient restreints ou modérés me semble naturel. Je ne sais ce que signifie &laqno; une position établie » et ne relève pas le terme de &laqno; liens » qui me semble relativement démodé et anachronique. J'observe que l'histoire de l'uvre de certains artistes est par choix liée à la mienne et je me garderais bien d'en déduire que cela a pu produire un &laqno; réseau ». Certains artistes dans la liste que vous présentez ne se connaissent absolument pas et seraient sans doute confondus par le travail des autres, ou du moins indifférent. C.N. : De nombreux commissaires proposent comme thématique d'exposition l'art comme support d'échange et de communication (l'exposition de Francesco Bonami au Bonnefanten Museum de Maastricht, Traffic de Nicolas Bourriaud au CAPC de Bordeaux). D'autres organisent un moment de convivialité partagé entre les artistes, point de départ du processus de fabrication de l'oeuvre et de l'exposition (This Is The Show and The Show Is Many Things de Bart de Baere au musée de Gand). Les réseaux sont-ils la conséquence de ce type de concept ou l'origine ? E.T. : Je ne crois pas que l'art soit &laqno; un support d'échange et de communication » mais toujours un &laqno; véhicule » (c'est d'ailleurs le titre de l'exposition d'Angela Bulloch au Consortium à Dijon) pour se retrouver seul en face de son propre comportement : devant l'oeuvre, devant l'exposition, devant l'art, devant la société, devant le désir et la mort, c'est-à-dire devant sa place dans le monde. Les &laqno; expositions thématiques » m'ont, pour ma part, toujours fait horreur : l'oeuvre y est instrumentalisée au profit d'un auteur qui n'est plus l'artiste mais le commissaire. Elles participent à la fabrication de petits notables de la théorisation qui comme tous les petits notables, ne sont dans le fonctionnement d'une ville utiles qu'aux cérémonies protocolaires et mondaines. Ensuite, les &laqno; moments de convivialités partagés par les artistes » me semblent ne jamais pouvoir être organisés par les commissaires, mais directement impliqués par la nature même des oeuvres des artistes. Vous m'excuserez de revenir sur les mots mais je vous renvoie à la scène de Palombella Rossa entre Nanni Moretti et une journaliste au bord de la piscine. Je suis simplement convaincu qu'il est absolument impossible de présenter les oeuvres de la plupart des artistes dont vous parlez, sans ces artistes. Et vous m'accorderez que je ne rentre pas dans un fantasme chamanique façon Beuys mais que seulement cette &laqno; convivialité » dont vous parlez ne se conçoit pas sans la présence d'un hôte à l'oeuvre qui ne peut être que l'artiste. Je ne pense pas que l'on puisse spontanément et artificiellement former des &laqno; hôtesses » pour ces oeuvres comme les boîtes Tupperware ou les produits Avon. C.N. : De quelle nature structurelle est le réseau selon vous (arborescence, rhizome, strates...) ? E.T. : La structure de ce que vous appelez &laqno; réseau », pour le cas présent, c'est-à-dire pour ces artistes, ne peut être que gazeuse. Gazeuse, c'est-à-dire diffuse, invisible, volatile. Par ailleurs, ce terme même de &laqno; réseau », qui vise justement à esquisser une visibilité de substitution pour un gaz que par définition on ne peut ni voir ni saisir, évoque pour moi toute l'horreur du grand projet de &laqno; mise en réseau » des institutions qu'on a connu il y a quelques années (le terme a été martelé par la Délégation aux Arts Plastiques comme un mantra) et qui avait, justement le même but. C'est-à-dire de réunir des électrons autonomes et incontrôlables dans l'illusion d'une seule et même molécule en pensant qu'elle aurait une fonction utile et permettrait sa désignation et son contrôle. Désigner et contrôler : l'inverse de l'art en somme. |
Référence: http://www.ensba.fr/connexions/texto/text2.html