La musique techno est aujourdhui partout. Voir dans cette omniprésence le simple résultat dune récupération dun genre musical soudainement mis à la mode par des acteurs (producteurs, médias...) depuis longtemps établis ne suffit pas à expliquer la rapidité et lampleur du phénomène. Ce succès est aussi, sans doute, à mettre au compte de nouveaux modes opératoires particulièrement compatibles avec les évolutions récentes du contexte économique. Nous verrons comment une série de correspondances entre le monde de la techno et celui des technologies de linformation indique une convergence vers un nouveau modèle économique. Un modèle étonnamment «moderne» dont lefficacité et la propagation actuelles probablement ni absolues, ni irréversibles ne font pas de doute, mais dont il ne sagit pas de discuter ici le sens politique, ni les implications esthétiques ou la valeur morale. Bref, il sagit de voir ici comment cette musique nouvelle est aussi une nouvelle manière de faire de la musique, jusque dans ses extensions les plus concrètes, dabord au niveau du produit, puis des structures et enfin des différents aspects de lenvironnement général dans lequel elle évolue.
La techno a, depuis ses débuts et comme dautres genres musicaux, une vocation fonctionnelle essentielle : faire danser des gens qui sont là pour ça. Lapparition de la house correspond à une redéfinition fon-damentale du rôle du disc-jockey : le DJ ne doit plus seulement enchaîner harmonieusement des morceaux quil est censé ne pas altérer, il intervient désormais dans la construction de ces mêmes morceaux et dans leur modulation continue. Au fil du set, il sapproprie une multiplicité de rythmes, de sons, voire de mélodies. Il les combine et les travaille jusquà en faire une musique nouvelle, variable, quil peut légitimement signer de son nom.
La techno cest, grâce au sampling, une nouvelle étape : faire de la synthèse des fragments sonores prélevés un ensemble qui ne fait pas forcément directement référence, de manière intelligible, à lun des éléments qui le compose. Cest aussi, sans relâche, paramétrer cette synthèse, la nourrir sans cesse déléments nouveaux, jusquà sa mutation.
|
|
On voit que, dès le départ, le «morceau» techno na pas de limite claire. Il est par définition un work-in-progress dont on peut seulement identifier quelques étapes transitoires.
Par exemple :
- les samples issus de dubplates, disques divers, enregistrements spécifiques, boîtes à rythmes
, le DJ peut faire appel à une infinité de sources ;
- le white label comportant souvent la/les première(s) version(s) dun titre ;
- le single mix en général édité commercialement avec le futur album mix (il sagit parfois du même mix) mais aussi, souvent, avec une version instrumentale, dub ou remix ;
- lalbum mix, soit le morceau tel quil doit figurer sur lalbum, mixé de sorte à pouvoir sinclure dans un ensemble ;
- les remixes, cest-à-dire le morceau décomposé par piste sonore puis confié à un intervenant extérieur DJ ou retravaillé par le DJ lui-même en fonction dune nouvelle thématique (exemple : une déclinaison speed garage, jungle, hip hop...) ;
- les copies, cas fréquent pour les titres à succès, qui sont alors «recomposés» avec de légères nuances, soit remixés tout en restant aisément identifiables sans laccord des ayants droit ;
- la compilation, pratique courante dans la techno, qui permet de rassembler dans un même ensemble une multitude de titres qui ont un rapport plus ou moins direct ;
- les déclinaisons fonctionnelles, par exemple ladaptation du titre pour «habiller» un spot de publicité télévisée ou pour devenir une musique dambiance (muzak, voire musique de fanfare).

Pour en savoir plus, consultez la version imprimée N°19 1998
|