économies  
hors-série SPECIAL TECHNO

extrait : par Morvan BOURY

New deal

L’économie du disque développée par les labels techno, si elle impressionne par son dynamisme et son étendue, étonne également par sa parfaite intégration aux systèmes établis. Ou l’on voit que l’idée d’économie parallèle ne rime pas nécessairement avec révolution.


La musique techno est aujourd’hui partout. Voir dans cette omniprésence le simple résultat d’une récupération d’un genre musical soudainement mis à la mode par des acteurs (producteurs, médias...) depuis longtemps établis ne suffit pas à expliquer la rapidité et l’ampleur du phénomène. Ce succès est aussi, sans doute, à mettre au compte de nouveaux modes opératoires particulièrement compatibles avec les évolutions récentes du contexte économique. Nous verrons comment une série de correspondances entre le monde de la techno et celui des technologies de l’information indique une convergence vers un nouveau modèle économique. Un modèle étonnamment «moderne» dont l’efficacité et la propagation actuelles – probablement ni absolues, ni irréversibles – ne font pas de doute, mais dont il ne s’agit pas de discuter ici le sens politique, ni les implications esthétiques ou la valeur morale. Bref, il s’agit de voir ici comment cette musique nouvelle est aussi une nouvelle manière de faire de la musique, jusque dans ses extensions les plus concrètes, d’abord au niveau du produit, puis des structures et enfin des différents aspects de l’environnement général dans lequel elle évolue.
La techno a, depuis ses débuts et comme d’autres genres musicaux, une vocation fonctionnelle essentielle : faire danser des gens qui sont là pour ça. L’apparition de la house correspond à une redéfinition fon-damentale du rôle du disc-jockey : le DJ ne doit plus seulement enchaîner harmonieusement des morceaux qu’il est censé ne pas altérer, il intervient désormais dans la construction de ces mêmes morceaux et dans leur modulation continue. Au fil du set, il s’approprie une multiplicité de rythmes, de sons, voire de mélodies. Il les combine et les travaille jusqu’à en faire une musique nouvelle, variable, qu’il peut légitimement signer de son nom.

La techno c’est, grâce au sampling, une nouvelle étape : faire de la synthèse des fragments sonores prélevés un ensemble qui ne fait pas forcément directement référence, de manière intelligible, à l’un des éléments qui le compose. C’est aussi, sans relâche, paramétrer cette synthèse, la nourrir sans cesse d’éléments nouveaux, jusqu’à sa mutation.

 

On voit que, dès le départ, le «morceau» techno n’a pas de limite claire. Il est par définition un work-in-progress dont on peut seulement identifier quelques étapes transitoires.
Par exemple :
- les samples issus de dubplates, disques divers, enregistrements spécifiques, boîtes à rythmes…, le DJ peut faire appel à une infinité de sources ;
- le white label comportant souvent la/les première(s) version(s) d’un titre ;
- le single mix en général édité commercialement avec le futur album mix (il s’agit parfois du même mix) mais aussi, souvent, avec une version instrumentale, dub ou remix ;
- l’album mix, soit le morceau tel qu’il doit figurer sur l’album, mixé de sorte à pouvoir s’inclure dans un ensemble ;
- les remixes, c’est-à-dire le morceau décomposé par piste sonore puis confié à un intervenant extérieur DJ ou retravaillé par le DJ lui-même en fonction d’une nouvelle thématique (exemple : une déclinaison speed garage, jungle, hip hop...) ;
- les copies, cas fréquent pour les titres à succès, qui sont alors «recomposés» avec de légères nuances, soit remixés – tout en restant aisément identifiables – sans l’accord des ayants droit ;
- la compilation, pratique courante dans la techno, qui permet de rassembler dans un même ensemble une multitude de titres qui ont un rapport plus ou moins direct ;
- les déclinaisons fonctionnelles, par exemple l’adaptation du titre pour «habiller» un spot de publicité télévisée ou pour devenir une musique d’ambiance (muzak, voire musique de fanfare).

 

 

Pour en savoir plus, consultez la version imprimée N°19 1998



Référence: http://www.artpress.com/Pages/hors-serie/techno/new-deal.html