Philosophe et psychanalyste, Miguel Benasayag est aussi un ancien
combattant de la guérilla guévariste en Argentine, où
il a passé plusieurs années en prison. Depuis son arrivée
en France, à sa libération, il réfléchit inlassablement
aux moyens de rester fidèle à l'exigence de liberté
et de solidarité des luttes révolutionnaires passées,
tout en tirant les enseignements de leurs échecs et de leurs errements.
Dans Du contre-pouvoir, co-écrit avec Diego Sztulwark, il
observe líémergence díune nouvelle radicalité désireuse
de changer la vie. Et clame que, si on veut préserver la vitalité
de ces mouvements, il ne faut surtout pas ressortir du placard les vieux
schémas révolutionnairesÖ C'est à la révolution
dans la révolution, à la puissance contre le pouvoir, au
savoir contre l'information, que Miguel Benasayag nous invite: il ne faut
pas, écrit-il, se préparer à prendre le pouvoir, attendre
de grands soirs en obéissant à des "maîtres libérateurs";
il faut, dans l'immédiat et sans attendre de lendemains qui chantent,
chercher tout à la fois la puissance et la connaissance. Avec humour
et clairvoyance, il passe en revue pour nous ces idées qui sont
autant de "clés" précieuses pour tous ceux qui cherchent,
à tâtons, à penser de nouveaux horizons."La résistance
alternative sera puissante dans la mesure où elle abandonnera le
piège de l'attente", lit-on dans le "Manifeste du réseau
de résistance alternative" lancé par son collectif "Malgré
Tout", et dont nous publions par ailleurs quelques extraits.
- Pourriez-vous nous faire votre biographie, en tous les cas politique?
Miguel Benasayag: J'ai commencé à militer
très jeune. Cela n'avait rien d'exceptionnel à l'époque
en Argentine. Je suis rentré dans ce qu'on appelait les "groupes
de surface", c'est-à-dire les groupes d'appui à la guérilla
guévariste. En fait, en Argentine, à cette époque-là,
la guérilla ne correspondait pas à líidée que líon
síen fait en général: ce n'était pas un groupe armé
au milieu d'une société pacifique. En réalité,
la guérilla guévariste faisait partie de la contre-culture,
du contre-pouvoir, de tout un développement d'une société
qui se constituait elle-même contre l'étau des dictatures
militaires à répétition. Pourquoi a-t-on choisi la
lutte armée? Tout bêtement parce que nous faisions le constat
qu'à chaque fois qu'il y avait des élections, il fallait
entre trois mois et deux ans maximum pour quíun coup díEtat survienne et,
dès lors, on a fini par comprendre qu'il fallait lutter aussi contre
l'armée.
Il y avait deux grands mouvements en Argentine. L'un, c'était
le mouvement nationaliste péroniste, qui était pour moi un
peu confus. Je n'avais pas d'affinités électives avec les
péronistes. Le péronisme, c'est un peu bizarre: les gens
péronistes, ils sont péronistes; moi, je n'ai jamais su ce
que ça voulait dire "être péroniste". Une fois,
il m'est arrivé un truc drôle: après un petit combat,
des flics nous coursaient, et dans ma fuite, jíavais vu une unité
de base péroniste, jíai rangé mon arme courte, j'ai essayé
d'entrer pour me cacher là-dedans et à l'entrée, un
mec mía dit: "Mais toi, tu n'es pas péroniste!" Mais merde,
comment est-ce qu'il avait fait pour savoir que je níétais pas péroniste?
Les flics arrivaient, alors moi, j'ai filé sans discuter. Mais cet
épisode m'est resté, et aujourd'hui encore, il y a cette
idée que, quand tu es péroniste, ça se voit à
ta tête.
A côté des péronistes, il y avait la mouvance guévariste.
J'y suis rentré. D'abord dans un groupe, puis dans un autre plus
fort - l'ERP, l'armée de révolution du peuple. Vers dix-sept
ans, j'étais déjà dans la guérilla. De fil
en aiguille, je suis devenu combattant et ensuite, j'ai eu des responsabilités
militaires - mais pas politiques - dans la guérilla. Comme, à
l'époque, en Argentine, être un combattant de la guérilla
ne signifiait absolument pas vivre dans la clandestinité, comme
on pouvait continuer à vivre sans se cacher tout le temps, j'avais
commencé des études de médecine en Argentine. Certains
de mes camarades ont dû entrer dans la clandestinité, mais
ça n'a pas été mon cas. Moi, j'ai étudié
la médecine avec mes papiers normaux jusqu'au jour où je
suis tombé. J'ai été arrêté trois fois
au total. Les deux premières fois, j'ai réussi à plus
ou moins brouiller les pistes. Les autorités militaires ne savaient
pas trop qui j'étais. La troisième fois, non. Ce coup-là,
quelqu'un avait parlé sous la torture. Moi aussi, cette fois-là,
j'ai été torturé pendant très longtemps, mais
quand même j'ai réussi sous la torture à les faire
douter. Ils savaient que j'étais un combattant, mais ils ne savaient
pas que j'étais le responsable de l'unité. En fait, ils n'ont
jamais su, mais je suis allé en taule. J'y suis resté quatre
ans.
Juive française, ma mère síétait échappée
à la fin des années 30, avec ses parents, vers líArgentine.
J'ai la double nationalité. Or, pour couvrir la mort de deux religieuses
françaises assassinées, on a réclamé la libération
de Français arrêtés en Argentine. C'est comme ça
que, sans le savoir, j'ai "bénéficié", pendant líhiver
78, de cet assassinat, et je me suis retrouvé en France avec le
statut de Français libéré, alors que je n'avais jamais
mis les pieds en France auparavant.
Quand je suis arrivé en France, je suis arrivé dans un
autre monde. Et pas seulement un autre monde parce que c'était l'Europe;
non, un autre monde avant tout parce quíà la fin des années
70, c'était l'époque des "nouveaux philosophes", de la "post-modernité",
du "droit-de-l'hommisme". Dans ce cadre de pensée-là, vouloir
changer le monde était très, très mal vu, et les "nouveaux
philosophes" nous identifiaient tous comme des Pol Pot, des Staline, des
dictateurs en puissance. Moi, j'avais vraiment du mal à comprendre
ce procès quíon nous faisait, parce que nous, en Amérique
du Sud, nous revendiquions plutôt une filiation "hippie-guévariste".
Il y avait une tradition d'underground, de contre-culture dans nos mouvements.
Pour nous, l'Union soviétique était l'horreur absolue et,
quoi quíen dise l'histoire officielle, le Che était très
anti-soviétique. Faire, comme il lía fait, la guérilla en
Amérique latine était interdit par la division du monde de
la Guerre froide. On voit bien comment la CIA a respecté l'écrasement
de la Tchécoslovaquie et de la Hongrie et, du fait de cette division
du monde, l'URSS devait respecter l'écrasement des pays latino-américains.
Arrivé en France, jíai continué à militer dans
la guérilla pendant quelques temps encore. En 1979, des groupes
commandos de mon organisation sont partis d'ici, en France, pour occuper
le bunker du dictateur nicaraguayen Somoza. Et c'est mon organisation aussi
qui a exécuté Somoza, à la demande du commandant sandiniste
qui voyait en lui un danger de contre-offensive très forte. Peu
après ça, j'ai raccroché de la guérilla.
"J'ai essayé de comprendre ce qu'était
cet élan de liberté.
Un pur imaginaire? Est-ce que, comme le disaient
les nouveaux philosophes et les post-modernes,
à chaque fois qu'on voulait changer les choses,
on produisait le pire, ou non?"
Et cíest à ce moment-là que j'ai pensé qu'il y
avait des choses à penser, justement. Pour changer le monde, il
faut comprendre ce qui se passe, essayer d'être sérieux. Tenter
de changer le monde en étant prisonnier de l'idéologie, ça
ne mène nulle part. Je me suis mis à travailler en tant que
chercheur, sans jamais abandonner mes rapports avec des groupes militants.
Je me suis penché sur la critique de la psychiatrie, les mouvements
internes de la médecine, sur líanthropologie, sur la philosophie.
J'ai essayé de comprendre ce qu'était cet élan de
liberté. Un pur imaginaire? Est-ce que, comme le disaient les nouveaux
philosophes et les post-modernes, à chaque fois qu'on voulait changer
les choses, on produisait le pire, ou non? Dans cet élan-là,
j'ai créé un collectif qui tient son nom -"Malgré
Tout"- du fait que c'était ça "malgré tout", avoir
l'ambition de changer le monde malgré le totalitarisme, du fait
que nous n'entendions verser à aucun moment dans une idéologie
messianique. Tous les anciens de la guérilla, au Chili comme en
Argentine, ont repris contact et se sont rencontrés avec quelques
intellectuels et quelques militants français aussi. On a créé
un lieu à géométrie variable - puisqu'il n'y a pas
d'affiliation à "Malgré Tout" -, dans lequel on essayait
de penser le monde, la liberté, le système, sans aucune idéologie.
Dans un parti politique, on pense toujours dans le cadre d'une idéologie
à laquelle on doit se conformer. Par exemple, quelqu'un qui pense
à líintérieur du Parti communiste a le droit de penser, bien
sûr, mais s'il veut rester dans le Parti, il est obligé de
penser dans les limites du parti. Nous, nous n'avions aucune limite: nous
avions une foi dans la pensée et, quelque part, un optimisme dans
le devenir de l'humanité. Pour nous, les choses sont assez claires:
si on pense librement, on trouvera des choses qui seront valables. Par
exemple, nous ne pensons pas que les hommes puissent trouver au fond d'eux-mêmes
un désir de barbarie. J'ai écrit, avec d'autres camarades
ou tout seul, une quinzaine de bouquins. Plus une dizaine d'autres livres
sur la médecine et philosophie, des trucs en psychiatrie. Vraiment
j'ai mené une vie de chercheur en travaillant beaucoup, en publiant
énormément.
"La vie se développe et les militants politiques
ne font aucune confiance à la vie.
Ils pensent que la vie se développe,
mais ouh là là, il faut que quelqu'un
l'ordonne!"
Pour moi, la politique, cela n'a jamais rien eu à voir avec le
pouvoir, être député et tout ça. Cela m'emmerde
plutôt. La vérité, c'est que je suis même quelqu'un
qui ne lit pas les journaux tous les jours, qui s'en fout et trouve ça
souvent barbant. C'est vrai que j'ai toujours eu en horreur les militants
politiques, parce que les militants politiques, c'est ce que nous appelons,
nous, les " militants tristes". Ce sont ceux qui disent tout le temps que
vous n'êtes pas comme il faut être, que le monde doit être
comme ci ou comme ça. En général, ce sont les mêmes
mecs qui n'aiment pas aller danser. Le militant politique est ce que nous
appelons un "maître libérateur", qui dit comment il faut faire.
Parallèlement nous, nous avons toujours constaté l'émergence
de mouvements de libération, de mouvements non dans le sens d'organisations.
C'est l'émergence des pratiques émancipatrices qui peuvent
être trahies justement quand les militants politiques, les militants
tristes, arrivent.
L'image que je donne de ça, c'est l'image de Charlot dans Les
Temps modernes: Charlot voit un camion qui passe avec un petit drapeau
rouge pour signaler un danger, le drapeau tombe du camion, et alors Charlot,
il le prend à la main et il l'agite pour que le camionneur voie
qu'il a perdu son drapeau. Une manif passe par-là et les manifestants
pensent que Charlot avec son drapeau rouge est leur leader et, du coup,
ils se mettent à le suivre. Les dirigeants politiques ou révolutionnaires
sont un peu comme Charlot dans le film ? sans le génie, bien entendu.
Ils essaient tout le temps de se mettre en tête des manifs, sauf
qu'eux, ils le font sciemment. Leur seule préoccupation, c'est de
savoir comment ils vont diriger ces émergences de la vie. Si, dans
la banlieue, les jeunes découvrent le rap comme une poésie
qui serait la leur, il faut qu'ils viennent là devant pour dire
"on va vous aider". Si, dans un quartier, des gens occupent une
maison parce qu'ils refusent de mourir de froid avec leurs enfants pendant
l'hiver, les politiques viennent. La vie se développe et les militants
politiques ne font aucune confiance à la vie. Ils pensent que la
vie se développe, mais ouh là là, il faut que quelqu'un
l'ordonne!
Alors voilà pourquoi les contre-pouvoirs! L'idée, c'est
de dire: "Merde, nous qui sommes du côté de la vie, qui
n'arrêtons pas de chercher, de faire des trucs..." Peut-être
est-il temps de dire que développer la vie, chercher des solidarités,
est quelque chose de noble en soi. Cela n'a pas besoin d'être ordonné
par quiconque.
- "Malgré Tout", c'est une organisation sans siège,
sans centre, sans lieu... Comment faites-vous?
M.B.: C'est un lieu virtuel. "Malgré Tout" s'est
créé en Uruguay, à Buenos Aires, à Paris, en
Italie, en Belgique... C'est un réseau à géométrie
variable. Par exemple, quand on a besoin de quelqu'un, il n'y a personne,
et quand on n'a besoin de personne, tout le monde est là. On n'a
pas de journal, on n'a pas de revue. Ce sont quelques idées, quelques
principes qui grosso modo intéressent un groupe de gens assez diffus.
Par exemple, "Malgré Tout" est à l'origine du Manifeste des
Indiens Sans-Terre brésiliens, dialogue en permanence avec les zapatistes,
travaille avec Ras l'Front, avec le DAL [Droit au logement, ndlr]...
On a travaillé avec tout le monde, on fait des choses, on pense
un peu. La seule expérience qui a eu lieu avec une adresse, c'est
l'expérience de l'Université populaire de la Cité
des 4000, à la Courneuve [ville de la banlieue nord de Paris,
ndlr], qu'on mène avec le groupe Africa qui vit là, avec
une femme d'origine algérienne qui s'appelle Mimouna Hadjam, et
qui est très intéressante. Là, il y a un groupe "femmes",
un groupe d'alphabétisation, une université populaire...
Un tas d'activités de contre-pouvoir, que nous développons
avec les gens de la Cité et d'en dehors.
-
Vous situez l'apparition de ce que vous appelez "la nouvelle radicalité"
au Chiapas en 1994. C'est la fin du désenchantement, écrivez-vous,
la fin de l'idéologie droit-de-l'hommiste. On devient sensible à
l'idée que la société de l'argent n'est pas indépassable,
qu'elle n'est pas la seule réalité... Mais au fond, quand
vous voulez illustrer le propos philosophique et politique, vous paraissez
avoir quelques difficultés: il y a un tas de noms d'associations,
de mouvements, sur la couverture de votre livre, mais à l'intérieur,
vous semblez bien en peine quand il s'agit de nommer les collectifs de
contre-pouvoir...
M.B.: La nouvelle radicalité, ou le contre-pouvoir,
ce sont bien sûr des associations, des sigles comme ATTAC, comme
Act Up, comme le DAL. Mais ce sont surtout - et avant tout - une subjectivité
et des modes de vie différents. Il y a des jeunes qui vivent dans
des squats - et c'est une minorité de jeunes -, mais il y a plein
de jeunes qui pratiquent des solidarités dans leurs vies, qui n'ordonnent
pas du tout leur vie en fonction de l'argent. Cela, c'est la nouvelle radicalité,
c'est cette émergence d'une sociabilité nouvelle qui, tantôt,
a des modes d'organisation plus ou moins classiques, tantôt non.
Je pense qu'en France, ça s'est développé très
fortement. Le niveau d'engagement existentiel des gens est énorme.
Il y a une génération entre 20 et 35 ans qui n'a pas d'idéologie,
n'est pas spécialement dans la militance, mais si par exemple, une
beurette est belle, qu'elle soit beurette ou pas, on s'en fiche; si un
black est très beau, toutes les filles vont aller derrière
le black et s'en foutre qu'il soit black. Si, par exemple, vous dites à
ma fille "Ah! Tu es avec untel parce qu'il est noir et parce que tu
es antiraciste!", elle répond: "Prise de tête, ça
n'a rien à voir!" Elle est avec untel parce qu'il est beau,
et non pas par antiracisme. Le Pen et le racisme la font vomir... Mais
en fait, l'émergence de cette nouvelle radicalité est très
vivante; ce n'est pas un programme politique. J'ai vu Dancer in the
Dark de Lars Von Trier. Cette société dans laquelle l'héroïne,
si elle n'a pas d'argent, son fils devient aveugle, et si elle n'a pas
d'argent pour payer un bon avocat, elle crève faute d'une défense
juridique correcte. Ce n'est pas un film de propagande; c'est un film vrai,
c'est exactement comme cela que ça se passe dans le néo-libéralisme
américain. Tous les jeunes qui vont voir ce film-là, ils
disent: "C'est la merde, ce système-là!" Ils ne disent
pas "c'est la merde" parce qu'ils adhèrent forcément
à un autre programme.
- Cette nouvelle radicalité, cette subjectivité, très
diffuse, dans une société de l'argent, capitaliste, pose
la question de la transformation de la société. Est-ce que
vous pensez qu'on peut transformer la société comme ça,
par capillarité?
M.B.: Moi, je suis convaincu que, sans transformation
par la capillarité comme vous dites très bien, par les "micro-pouvoirs",
comme disait Foucault - les micro-pouvoirs, c'est cette capillarité
-, sans cette transformation, il n'y aura jamais de transformation de notre
société. C'est-à-dire que, si les gens ne peuvent
pas désirer autrement que dans le capitalisme, si les gens ne peuvent
pas imaginer leur bonheur au quotidien autrement que capitalistiquement,
il n'y aura pas de bons sauveurs. Nous ne pouvons pas dire aux gens: "Le
capitalisme va faire péter la planète." Pourquoi? C'est
une vérité, mais tout le monde s'en fiche.
Il m'est arrivé quelque chose de très drôle: un
patient arrive chez moi, il est fou - on dit "psychotique" ou non, peu
importe, en tout cas, il est fou, il est très très fou. Il
me sort de sa poche une lettre écrite par son médecin à
mon intention: "Cher collègue, je suis le médecin du SAMU
et j'ai vu le jeune X qui a fait une crise d'angoisse et un malaise, il
s'est évanoui, il allait très mal." Comment ça?
Il était à table, ce jeune X, avec ses parents et son frère;
tout d'un coup, il regarde la télé où on parle de
la vache folle. Jusque-là, il n'en avait pas entendu parler; il
en entend parler et se met à poser des questions. "Mais comment
la vache folle?" Il était à table et tout à coup,
lui, il comprend qu'on est peut-être en train de nous empoisonner,
il réalise et il fait une crise d'angoisse terrible; il tombe dans
les pommes, il a des gestes qui font peur à tout le monde parce
qu'il est fou et assez costaud. Tous les autres, normaux, écoutaient
le désastre dans lequel on vit et continuaient à manger.
Le problème, c'est celui-là: les gens savent bien que le
capitalisme est un désastre, mais comme ils ne sont pas assez fous,
comme ils sont trop sains, ils ne peuvent pas réagir.
"Nous ne pouvons pas dire aux gens:
"Le capitalisme va faire péter la planète."
C'est une vérité, mais tout le monde
s'en fiche"
Savoir que le monde est un désastre, aller dire aux gens "Oyez,
oyez: le monde est un désastre!" ne sert à rien. La seule
chose qui serve, c'est de développer des pratiques, des micro-pratiques,
concrètes et en réseau de modes de vie différents,
parce que dire aux gens "le capitalisme est mauvais" ne suffit pas.
Il faut qu'il y ait quelque chose de désirable, de positif pour
le dépasser. Un autre exemple, c'est le fait tout bêtement
des gens qui arrêtent de fumer. Il est impossible de dire à
un fumeur: "Arrête de fumer, sinon tu auras un cancer!" Le
fumeur arrête de fumer seulement parce qu'il trouve un investissement
différent, quelque chose qui lui fait plus plaisir que de fumer.
Ce plus de plaisir peut être l'envie de vivre plus sainement pour
aimer sa copine, mais s'il n'y a pas un désir alternatif, il n'y
aura pas de changement.
Je crois que le pouvoir est un pouvoir de représentation, et
que donc, ça ne sert à rien de vouloir changer la représentation,
ce qu'il faut changer c'est ce que cette représentation est censée
représenter. C'est-à-dire qu'il faut nous changer nous. Nous
changer nous, non pas individuellement en faisant du zèle, nous
changer nous dans des pratiques multiples associatives. Parfois en Amérique
latine, ils disent: "En face, ils ont des armes quand même"
- ce qui est vrai -, eh oui! mais même pour s'opposer à ces
armes-là, si on ne désire pas quelque chose de différent,
ça ne sert à rien. Au Nicaragua, on a gagné une guérilla
qui durait depuis cinquante ans, depuis Sandino [arrivé au Nicaragua
en 1926, qui a donné son nom au Front sandiniste de libération
nationale, ndlr]; ils ont gagné la guerre, mais ils ont oublié
de produire une société nicaraguayenne nouvelle; ce que ça
a donné, c'est que les commandants nicaraguayens sont la honte totale,
ce sont des seigneurs féodaux.
- Pourquoi vous définir comme "militant chercheur"?
M.B.: On se définit comme militant chercheur pour
l'opposer au militant, comme ça, qui croit qu'avec de la bonne volonté,
il va changer le monde. Quand on doit percer une fenêtre dans sa
maison, on appelle le copain architecte, la mairie, on prend des mesures
et on calcule. Si quelqu'un veut changer le monde, il croit qu'il suffit
de décider et "il n'y a qu'à". C'est ça le
problème. Les gens sont très velléitaires par rapport
au désir de justice. Il n'y a aucun terrain où les gens sont
aussi velléitaires quíà propos du désir de justice.
Comme si líambition de changer le monde était aussi profonde que
la décision de commencer à faire de la gym après les
vacances en septembre. Il y a un vrai problème dans cette affaire.
Changer le monde, mais changer pour quoi? Ce n'est pas parce qu'on veut
changer que ce qu'on propose, c'est bien. Pessoa a écrit que "si
le monde était d'après ton cúur, il serait d'après
ton cúur voilà tout". Ni mieux, ni pire. Maintenant, il faut
essayer de faire que ce désir de justice, de changement, ne soit
pas un truc caractériel, adolescent. Sur le mode : "Changez-moi
ce monde!" Mais pourquoi changer le monde? Contrairement aux militants
classiques, je pense que les choses qui existent ont une raison d'être,
aussi moches soient elles, et que, pour les changer, c'est quand même
compliqué. Rien n'existe par accident et tout à coup, nous,
malins comme nous sommes, nous nous disons qu'il n'y a vraiment qu'à
décider de changer. Les militants n'aiment pas cette difficulté;
ils aiment se fâcher avec le monde et attendre ce qui va le changer.
Nous, on fait la révolution et eux, ils râlent.
- Une partie du livre est consacrée à la confiscation
du savoir au profit des pouvoirs, avec des objets de recherche qui vont
dans le sens de l'ordre établi et de l'appareil d'Etat... Pouvez-vous
nous parler de l'expérience alternative des "chaires Che Guevara"
en Argentine et de l'université populaire de la cité des
4000 à la Courneuve?
M.B.: Nous croyons qu'il y a un non-savoir très
grand dans notre société, qui est rempli par l'information,
ce qui trompe le monde. Les gens sont très informés, mais
l'information n'est pas un savoir. Au contraire, l'information écrase
les gens sous sa masse, elle reste comme un spectacle effrayant, elle nous
plonge dans l'impuissance. La création de savoir est la vocation
des chaires Che Guevara et de l'université populaire de la cité
des 4000. Il y a cette idée qu'il faut créer des lieux où
les gens construisent leur propre savoir sur leurs vies. Qu'est-ce que
nous savons de nos vies, au-delà de l'information que nous avons
sur nos vies? C'est toujours très surprenant: la plupart des gens
ont un tas d'informations sur leurs vies, mais "savoir", ça veut
dire, en termes philosophiques, "connaître par les causes", et donc
pouvoir modifier le cours des choses. Les gens ne savent pas grand chose.
Pourquoi?
"Il y a un non-savoir très grand dans notre
société, qui est rempli par l'information, ce qui trompe
le monde"
Un Indien, même sans être chamane, connaît des choses
des chamanes; même síil níest pas chasseur, il sait comment on chasse;
sans être maître d'école, il sait comment alphabétiser
les mômes. Il a un savoir qui circule sur sa vie concrète.
Alors que dans notre société, les gens ne savent rien de
comment fonctionne notre société: ils savent appuyer sur
des boutons, mais ce qui se passe entre líimpulsion et la réponse,
la plupart des gens níen ont aucune idée. On sait que, tout à
coup, le trou de la Sécu est plus grand ou plus petit; on est très
informés, mais ni moi, ni vous ni personne ne pourrait dire ce qu'est
un trou dans la Sécu; ce sont des images floues. On est informés
qu'un autre trou dans l'économie fait qu'on est tout d'un coup des
gens se retrouvent sur le carreau, chômeurs. De ce qui nous touche
au plus intime, dans nos vies, on ne sait rien. Dans Dancer in the Dark,
la fille, Björk, ne sait jamais rien de ce qui lui arrive. Or, ce
qui lui arrive, lui arrive bien à elle: la cécité
de son fils, la pendaison et la mort. Ce non-savoir va toujours accompagné
d'informations. C'est ça, le cercle vicieux.
Plus on dit: "On veut savoir", plus on nous informe. Nous, on
crée des lieux de non-information, dans lequel des gens essaient
de construire des savoirs sur leurs vies. Ce sont des lieux très
intéressants parce que de là peuvent surgir des pratiques
concrètes solidaires. En tout les cas, c'est de là qu'il
faut partir à mon sens.
- Vous parlez aussi de "savoirs non utilitaires".
M.B.: Oui, l'anti-utilitarisme est fondamental. Parce
que la vie ne sert à rien. Parce qu'aimer ne sert à rien,
parce que rien ne sert à rien. Penser en termes utilitaires, c'est
de toute évidence être plus fou que mon patient. Puisque mon
patient, lui, il a compris, quand même. Les amis, les gens comme
ça, ils sont en train d'attendre que le Parti se réorganise
bien, ou que surgisse un autre parti qui ait la bonne parole. Nous, nous
disons: "Mais non, ce qu'il faut, c'est avoir la patience de l'orfèvre,
de l'artisan, et construire des savoirs à la base et ne pas attendre
de maître libérateur." Nous avons très peur, par
exemple, qu'ATTAC se transforme en cela. En toute justice, je dois dire
que je ne les connais pas très bien, et eux, ils ne veulent rien
avoir à faire avec moi. ATTAC ignore ce qu'on fait depuis des années;
nous, on étudie beaucoup et ça nous intéresse ce qu'ils
font. Alors, pour ce que je connais d'ATTAC, c'est un danger, mais ça
n'est pas une réalité. Le danger existe que l'association
se mette à donner des réponses toutes faites aux inquiétudes
des gens plutôt que de dire aux gens: "Mais non, ce qui importe
ici, c'est la puissance, et non le pouvoir." Tout paraît montrer
qu'il y a un danger de devenir un parti ATTAC. Ce serait hyper-dommage.
Act Up fonctionne comme un contre-pouvoir clair et net. Ils ne se laissent
pas faire; ils sont dans une vraie production de contre-pouvoirs et de
savoir.
- Au fond, d'après ce que vous dites, c'est en devenant petit
à petit massif, populaire, en rassemblant de plus en plus de gens,
qu'un groupe court le plus grand danger de ne plus fonctionner comme
contre-pouvoir. Pensez-vous vraiment que l'on se noie ainsi?
M.B.: Il y a deux possibilités. Nous nous opposons
au fait d'articuler des luttes. C'est toujours la position du pouvoir,
et peu importe si c'est un pouvoir au nom du bien; c'est le point de vue
du mirador, c'est-à-dire que moi, je suis là et je me dis
: "Ah tiens ce que fait tel groupe, ça m'intéresse, moi",
alors on articule les groupes entre eux, on fait des coordinations, des
réseaux, etc. Ceci est toujours condamné à court ou
à moyen terme à trahir sa vocation de contre-pouvoir. En
échange, ce que nous opposons à cela, ce sont les réunions
par affinités électives. Des groupes qui, en pratique, font
des choses ensemble. Le réseau dans lequel on peut se développer,
c'est un réseau dans lequel les gens font concrètement des
choses ensemble à un moment donné, sans articulation ni programmée
ni programmatique. Nous opposons l'union sur des projets concrets à
l'union sur des programmes. C'est là où ATTAC ou d'autres
sont en danger... Si moi, je n'ai pas un projet commun avec, mettons, la
Confédération paysanne, qu'est-ce qu'on fait? Ce qu'ils font,
je trouve que c'est vachement intéressant; j'ai vu François
Dufour [un des porte-parole de la Confédération paysanne,
ndlr] l'autre jour; on leur passe nos écrits parce que l'on
pense que ça peut les intéresser, mais nos affinités
électives sont très faibles. On voit bien que l'on participe
de la même chose, mais tant qu'on n'a pas un projet en commun, on
ne crée pas de rapports de superstructure; on fait très gaffe
de ne pas créer de faux rapports. "Ah, mais Bové et vous,
vous devriez vous voir!", nous dit-on parfois. Eh bien non! Si moi
je lance un appel solennel du type "Le réseau de résistance
alternative, le collectif Malgré Tout et la Confédération
paysanne devraient se réunir", je fais le pas de trop, celui
qui ne mène nulle part.
- A líindividu, isolé comme une île au milieu de la
mer, que vous considérez comme une fabrication du capitalisme, vous
opposez la personne, cíest-à-dire chacun pris dans un réseau
de relations et díinterdépendances. Mais depuis líépoque
des totalitarismes, dès que líon remet en cause le libre arbitre
de líindividu, cela choque et effraieÖ
M.B.: Oui, parce quíon croit que ce qui síoppose à
líindividu, cíest la masse. Or ce níest pas vrai: on devrait même
parler dí"individu-masse". Les phénomènes de masse
fascistes ou staliniens níont été possibles que par la sérialisation
préalable de líhumanité en individus. Il faut díabord convaincre
les êtres humains quíils sont des individus isolés, pour ensuite
pouvoir les aliéner à un leader. Les phénomènes
collectifs de transe, de multitude, existent partout; mais les phénomènes
de masse níexistent que dans les lieux où le capitalisme occidental
síest installé avec son idée de líindividu. Là où
il y a líindividu, il y a la masse, et là où il y a la masse,
il y a les individus. Ce que jíoppose à líindividu, cíest la personne,
au sens où chacun de nous est intimement lié au destin des
autres: ma liberté ne finit pas où commence la vôtre,
mais existe sous condition de la vôtre. Je sais bien quíon ne peut
pas dépasser la notion díindividu avec des bouquins ou un parti,
mais je constate quíil existe certaines réalités émergentes
qui, ici et là, dépassent les envies de líindividu, et reviennent
à cette notion selon laquelle nous ne sommes que les formes díun
désir de vie; selon laquelle il y a "quelque chose dans lequel
nous sommes embarqués profondément", comme disait PascalÖ
On ne peut pas convaincre les individus de se dépasser eux-mêmes,
mais on peut constater et renforcer les tendances qui les dépassent
effectivement.
- Votre vision díune myriade díexpériences multiples, où
de petits groupes de gens mettent en pratique des modes de vie différents,
rappelle le concept de "Zone autonome temporaire", ou "TAZ",
forgé par Hakim Bey sur le modèle des enclaves pirates. Le
Manifeste du réseau de résistance alternatif que vous avez
lancé se termine díailleurs par le salut des pirates: "Salut
fraternel à tous les frères et súurs de la côte."
La différence entre Hakim Bey et vous, cíest quíil fait líimpasse
sur le passage de la "puissance" au "contre-pouvoir": pour
lui, dès quíune enclave de résistance est identifiée
par le pouvoir, elle doit se dissoudre et se recréer ailleurs.
M.B.: Je ne connais pas Hakim Bey, mais on mía déjà
parlé de lui líautre jour, je vais le lire. Le passage au contre-pouvoir
me semble, à moi, indispensable, ne serait-ce quíà cause
des enjeux démographiques, identifiés par Michel Foucault,
qui níont rien à voir avec ce quíétait le monde au siècle
des pirates. Il me semble quíon ne peut pas se contenter de dire: "Ceux
qui veulent vivre dans la merde níont quíà vivre dans la merde,
mais bienvenue à ceux qui ne veulent pas vivre dans la merde."
Ce níest pas possible. On ne peut pas imaginer quíen Amérique latine,
les alternatives vont continuer à se développer sans aucune
répercussion sur le pouvoir: il faut obtenir une position de contre-pouvoir
pour potentialiser ces luttes.
Cela dit, je suis à chaque fois archi-heureux de constater que
je participe díune pensée qui níest pas que la mienne. La pensée
est toujours un processus sans sujet. Je ne suis pas universitaire et je
suis très content de ne pas líêtre: je ne considère
pas la pensée comme une propriété privée. Je
suis heureux de voir des hypothèses émerger un peu partout.
En Argentine, quand on rentrait dans un mouvement de résistance
et quíon apprenait que díautres groupes síinsurgeaient, cíétait
parfait, on se disait quíon ne síétait pas complètement trompé!
Ici, en France, je trouve quíil y a un côté "kiosque", avec
des universitaires qui síapproprient des théories critiques. Jíai
été très déçu en rencontrant Alain Caillé,
qui représente en France líanti-utilitarisme, et que jíavais fait
connaître en Argentine. Il me disait que je níaurais jamais de poste
à líuniversité parce que jíétais trop engagé!
Je me suis rendu compte que pour lui, líanti-utilitarisme níétait
en aucun cas une pratique, mais simplement son fonds de commerce.
Cíest la même chose avec certains marxistes américains : ils
níont aucun lien avec des pratiques réelles. Dans líAntiquité,
la philosophie, ce níétait pas connaître, cíétait vivre,
vivre philosophiquement. Aujourdíhui, il me semble que líenjeu níest pas
de connaître les théories alternatives, mais de vivre alternativement.
"La liberté est toujours auto-affirmation,
jamais réponse à líennemi"
Je crois que la méfiance qui existe dans ce pays envers les intellectuels
vient du fait quíils parlent différent pour vivre pareil. Mon expérience
fait que cíest quelque chose que jíai du mal à comprendre. Dans
un pays du tiers monde, quand on dit quelque chose, on sait quíon va payer
avec son corps ce quíon a dit. Il faut passer à la caisse. Là,
les mandarins, ils font beaucoup moins les malins! Même dans les
périodes démocratiques, díabord on nía aucune certitude que
ça va durer, et même là, il y a des meurtres, des emprisonnementsÖ
Paradoxalement, cette non-séparation me semble beaucoup plus saine.
Cíest très éthique: ce que je dis, je le vis.
- Ce que vous dites sur la pensée devient assez évident
sur Internet, où le jeu des liens hypertexte permet de mettre en
relation des pensées complémentaires.
M.B.: Oui, et je le dis sérieusement; pas seulement
pour faire le Latino sympa, mais aussi en tant que chercheur: même
en neurophysiologie, on peut voir le moi comme un élément
du multipleÖ Quand on pense, on pense en tant que multitude, et la multitude
níest pas découpable. Philosophiquement, jíappartiens au courant
des néo-platoniciens, et Plotin dit: "Je ne peux jamais dire:
jusquíici, cíest moi." Même díun point de vue neurophysiologique,
cíest toujours une illusion.
- Vous étudiez aussi beaucoup líidéologie sécuritaire,
qui a pour effet díisoler les gens en instaurant la peur. Cela aussi, quand
on écoute un peu les discours à propos d'Internet, cíest
très parlantÖ
M.B.: OuiÖ Cíest la réaction! Si nous voulons estomper
les frontières pour quíémerge quelque chose de plus intéressant
que líindividu, la réponse logique et réactionnaire est la
sécurité identitaire, qui tend à mettre des limites,
des barrières, des barbelés. Líindividu est comme une forteresse
entourée de barbelés. Il ne faut pas trop síaffoler: cíest
normal quíil y ait une réaction. Cíest même le symptôme
díune avancée.
Du point de vue philosophique, en général, il ne faut
pas trop se centrer sur líennemi. La liberté est toujours auto-affirmation,
jamais réponse à líennemi. Ce sont les pattes courtes de
líanti-fascisme qui laissent líinitiative aux fascistes. On est anti-fasciste
de surcroît: ce níest pas en contestant líennemi quíon va trouver
sa voie. Ce níest pas que je néglige líaffrontement: je vous le
dis en tant quíancien officier de la guérilla! Quand líaffrontement
se présente, il faut líassumer, mais ce níest jamais central. Cíest
une conséquence naturelle. Dans le Manifeste du réseau alternatif,
jíai cité Deleuze: "Résister cíest construire". Etre
contre, cíest un corollaire secondaire quíil faut assumer avec courage;
mais il faut díabord construire. On voit bien cette militance un peu feignante
qui se définit "contre": on est gentil parce quíon est contre.
Non! ça ne suffit pas díêtre contre les méchants pour
être gentil. Après tout, Staline était contre Hitler!
Propos recueillis
par Thomas Lemahieu
Photo de Louis Monier/La Découverte
Bibliographie:
* Miguel Benasayag et Diego Sztulwark, Du contre-pouvoir,
La Découverte, 2000.
* Miguel Benasayag, Le mythe de líindividu,
La Découverte, 1998.
* Avec Florence Aubenas: La fabrication de l'information,
La Découverte, 1999.
Sur le même sujet dans Périphéries:
* Le Paradis, c'est
par où? (édito), novembre 2000
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