http://www.info.unicaen.fr/bnum/jelec/Solaris/d07/7blin.html
On line, 27 fev 2003, 15:50h
Revue SOLARIS
Décembre 2000 / Janvier 2001
ISSN : 1265-4876 |
    |
Introduction à
Matière numérique:
la production et l'invention de formes.
Vers une esthétique nouvelle
Odile Blin
Maître de conférence, Université
de Rouen, Mont Saint-Aignan
Laboratoire du GRIS (Groupe de Recherche Innovations et Sociétés)
-
Partie nº1 : introduction
-
1-1 Mise en perspective des articles
-
1-2 Le numérique face à l'art,
à son histoire et à son contexte
-
1-3 Matière espace-temps numériques:
une nouvelle écologie de l'art
-
Partie nº2 : Pour élargir et poursuivre
la lecture
-
2-1 Ouvrages
-
2-2 Ouvrages collectifs et actes de colloques
-
2-3 Articles
-
2-4 Numéros spéciaux de revues
et revues spécialisées
-
2-5 Études et rapports
-
2-6 Autres adresses de sites sur le sujet
-- institutions et associations, de création, formation, diffusion,
recherche
-- Revues et magazines
-- Collectifs d'artistes et galeries virtuelles
Partie nº1 : introduction
1-1 Mise en perspective des articles
L'incarnation/virtualisation de la matière dans l'inscription numérique
engendre des images et des usages qui placent la culture contemporaine
dans un imaginaire et une réalité perçue dont on peine
à saisir la part de nouveauté et de répétition,
tentés que nous sommes de refuser le déterminisme technologique
sur l'art. Les formes et temporalités émergentes de la création
artistique assistée par ordinateur et/ou diffusée sur le
réseau sont à l'étude dans les textes de ce septième
numéro de la revue Solaris qui permettra de proposer les termes
d'une nouvelle esthétique.
Le triangle de l'art qui reliait œuvres, auteurs et
récepteurs selon des modalités circonscrites, opère
désormais des connexions et différenciations qui décomposent
et recomposent chacun de ses éléments en des dispositifs
pluriels. Les trois premières contributions envisagent ces évolutions
sous différents aspects. Edmond Couchot
et Jean-Louis Weissberg
empruntant la posture du critique d'art ou du sociologue de la production
et de la réception des œuvres renouvèlent le vocabulaire
et les paradigmes de ces disciplines afin d'envisager un cadre théorique
à même d'aborder la création numérique, qui
pour la première fois dans l'histoire de l'art, selon Edmond Couchot,
propose des images "dont la morphogenèse et la distribution sont
contrôlées par la même technologie". Pour Jean-Louis
Weissberg, les effets de la téléinformatique et de la production
hypermédia doivent s'analyser scrupuleusement. À cette condition,
on reconnaîtra que les dispositifs d'auteurs "en collectif", que
la production multimédia suscite, n'annulent pas la nomination individuelle
et la posture classique de l'auteur singulier propres au règne de
l'imprimé. Et la "fluidification entre les positions de production
et de réception" n'aboutit pas à une confusion générale
mais bien plus à une diversification des postures, tant pour ce
qui est de la situation auctoriale que des actes de lecture hypermédia.
Isabelle Rieusset-Lemarié
resitue pour sa part le débat dans une perspective esthétique
inaugurée par Walter Benjamin et s'intéresse aux œuvres
numériques elles-mêmes. Analysant la texture de ce matériau
plastique, elle y perçoit une véritable dimension organique.
Surgit alors avec insistance la question des relations entre formes
et informatique, dont traitent chacun à leur manière
Pascal
Robert,
Marcin Sobieszczanski
et Bernard Caillaud,
dans la partie suivante. La relation sociétale, étudiée
par Pascal Robert, cognitive, prise en compte par Marcin Sobieszczanski,
et formelle entre sons et images que Bernard Caillaud [1]
expérimente dans sa production artistique, formulent quelques-uns
des aspects de la mise en algorithmes de l'univers des signes ou la mise
sous tutelle organisationnelle des communautés et des individus
par la rationalisation informatique du monde. La "forme" dont on parle
ici relève de la définition qu'en a donnée Georg Simmel.
Structure invisible ou visible, elle est un schème producteur de
répétition qui donne à une époque son style
de relations, de pensée et son esthétique [2].
L'informatique met en forme standardisée dans le langage binaire
les images, les sons, les textes, et crée entre ces univers formels
des relations inédites, avec par exemple l'art sonagraphique de
Bernard Caillaud, mais aussi imprime des "cliquets d'irréversibilité"
(Pascal Robert) dans la matière sociale, autre dimension de la contrainte
et du contrôle des organisations collectives.
Les sites d'artistes sur internet instaurent des collectifs [3]
et des espaces qui mettent en place une "esthétique-réseau"
spécifique du médium emprunté. L'observation rigoureuse
qui en est faite dans les contributions de la troisième partie de
cette publication permet de repérer les traits pertinents de ce
"style". Pastichant McLuhan, on peut affirmer que "le message, c'est l'internet"
: essor des interfaces (Madeleine Aptiki),
façons d'"habiter" le réseau, qui se présente comme
un deuxième monde à entrées multiples et circulations
virtuelles, comme le lieu également de réalisation de modalités
singulières "d'être ensemble" (Jean-Paul Fourmentraux),
façons d'utiliser ses ressources spécifiques, telles que
les adresses, l'écran, les modes de dialogue... comme matériau
même de la création (Annie Gentes)
mais encore façons de se perdre dans les méandres de la consultation,
invitent à repenser les connivences entre art et communication.
Le mot de la fin reviendra à Norbert Hillaire
qui, explorant quelques-unes des théories de l'information ayant
investi notre culture médiatique, indique les pistes à emprunter
pour une critique d'art renouvelée, répondant ainsi au voeu
d'Edmond Couchot d'en jeter les bases en se défaisant de l'impératif
moderne du progrès via les avant-gardes pour privilégier
plutôt la perspective de l'interactivité. Celle-ci devient
en effet le terme du consensus numérique. Si elle correspond bien
aux valeurs cardinales des politiques de médiation culturelle et
de la démocratie, elle n'ignore pas pour autant le devenir technologique
de la médiation.
1-2 Le numérique face à l'art, à son histoire et à
son contexte
Par ailleurs, on supposait, lors de la conception de cette publication
collective, avec une certaine utopie, que la matière nous renverrait
au corps. Corps de l'úuvre et corps de l'autre, co-auteur, co-acteur du
"dispositif-réseau". Mais la matière dont il est question
est celle de la pensée réticulaire, incarnée dans
le réseau et ses interfaces. L'"image machine" que la numérisation
produit et reproduit "image-actée" [4],
image interactive, explore la matière digitale. À la fin
du XIXe siècle et dans la première moitié
du XXe, l'art prit parfois pour motif la machine célibataire.
Sorte d'embryon artistique des systèmes fermés ou auto-organisés,
elle proposait l'exploration des profondeurs de l'inconscient, et postulait
une úuvre circulaire, en prise avec elle-même et avec nos fantasmes
[5]. Et Marcel Duchamp
n'en fut pas le seul instigateur. Mary Shelley, Villiers de L'Isle Adam,
et plus récemment Jean Tinguely ou Piotr Kowalski en donnèrent
quelques exemplaires. L'image machine serait-elle une machine célibataire,
malgré l'interactivité qu'on lui prête, la médiation
technique remplaçant le face à face humain ?
Le projet de couvrir de multiples aspects de la création numérique
contemporaine dans ce nº7 de Solaris partait du présupposé
de la désegmentation de l'activité humaine ou du moins d'une
transversalité des pratiques liée à la transversalité
que l'informatisation instaure entre différents champs professionnels,
et de la nécessité d'envisager le processus de standardisation
numérique de la production et de l'invention de formes. Mais les
propositions orientent l'ensemble des textes plus spécifiquement
et majoritairement vers une réflexion sur l'image multimédia
ou hypermédia, rapportée à un domaine encore autonome
de la pratique, celui de la création artistique, rapportée
également à un support visuel spécifique, celui de
l'écran d'ordinateur qui, avec ses tubes cathodiques, nous oblige
à assimiler le petit écran télévisuel au grand
écran de la toile et du réseau. Les environnements, les installations
artistiques utilisant les espaces de l'exposition, de la performance, ou
existant "in situ" comme le proposent par exemple Maurice Benayoun à
l'aide de "caves" pour déployer ses univers de synthèse [6],
ou Tania Mouraud pour une œuvre de commande publique installée
dans les bâtiments de la Police technique et scientifique à
Escully [7], n'ont pas
été étudiés ici. La mise en espace réel
de l'espace virtuel pose différemment le rapport organique au numérique
et le rapport du corps à la matière de l'úuvre.
Par ailleurs, les applications du numérique dans d'autres domaines,
architecture et modélisation, simulation et stratégie militaire,
protocoles scientifiques, relèvent aujourd'hui également
du même "moteur d'inférence de formes", celui de l'informatique.
Et la création industrielle n'est pas en reste face à la
création artistique. Mais focaliser les réflexions sur l'innovation
en termes d'images d'art permet d'évaluer l'autonomie du champ de
l'esthétique. Si la société communicationnelle tend
à élargir son emprise et à phagocyter le domaine de
l'art, celui-ci cependant conserve des institutions et dispositifs de pensée
singuliers. Mais Le métissage de la critique d'art avec des disciplines
externes ouvre le champ de la réflexion esthétique tout en
évitant l'anomie ou le discours totalisant. L'élargissement
des frontières de l'art ne convoque pas la fin de l'art. Et la preuve,
si elle était nécessaire, en est donnée par cet ensemble
d'articles qui centrent au plus juste de l'image, ce qui de l'art résiste.
1-3 Matière espace-temps numériques: une nouvelle écologie
de l'art
La niche technologique dans laquelle s'engouffre aujourd'hui la création
artistique nous demande cependant de ne pas céder à un enthousiasme
naïf, mais de reconsidérer les rapports entre art et science
[8] et d'éprouver
la persistance des anciens modèles de la représentation qui
firent la gloire de l'art en occident, de la première Renaissance
aux inventeurs de la modernité, cubistes et impressionnistes, à
l'aune du déterminisme informatique. La reproductibilité
multimédia des œuvres d'art empêche-t-elle aujourd'hui
la durabilité et la permanence qui permirent aux peintures réalisées
dans le cadre de cet espace plastique passé de faire &Oelig;uvre
? Le devenir "banque d'images" du CD-Rom permet-il à l'image de
s'inscrire comme singulière, comme pourvoyeuse de mystère
? Lorsque Chris Marker part avec "Immemory" [9]
à la recherche de l'image perdue, que nous montre-t-il de plus que
dans son roman-photo cinématographique "La jetée" ? La perte
de la narration, celle qui articule les images fixes du film "La jetée",
au profit de l'esthétique de la consultation interactive, celle
qui organise le patchwork d'images du CD-Rom "Immemory", engage une double
temporalité. Celle du déroulement des séquences organisées
par la consultation ainsi que celle qui, contenant toutes les consultations
possibles, construit le logiciel : la mémoire narrative est remplacée
par la mémoire informatique. Le lien de l'úuvre d'art au souvenir
d'un "ici et maintenant" avait été naturalisé dans
les techniques d'enregistrement photographique et cinématographique.
Et la persistante question d'une certaine critique d'art : la photographie
est-elle un art ? --quand le temps de l'illusion picturale est remplacé
par le temps de l'enregistrement du réel-- est oubliée au
profit de celle-ci : Existe-t-il un art numérique? ou : Qu'est-ce
que l'art numérique ?, ou encore: Qu'est-ce que l'art sur le réseau
? C'est-à-dire: comment envisager ces formes que l'on ne peut assigner
ni à un espace ni à un temps stables? Le lien de l'úuvre
d'art multimédia au souvenir anticipé de ce qu'elle sera
lors de la consultation est enregistré dans le programme de toutes
les actualisations possibles, dans "l'úuvre amont" [10],
l'úuvre matrice. Souvenir du non-advenu. L'identité programmatique
et temporelle des œuvres numériques en constitue l'identité
esthétique. Virtualisation, simulation, temporalités multiples
et variables, instables, plutôt qu'enregistrement d'un temps arrêté,
avec la photographie et le cinéma, ou unicité parée
d'aura avec la peinture et son temps mythologique, inscrivent d'autres
repères dans l'image numérique. Ces deux temporalités
émergentes et contradictoires de l'úuvre multimédia correspondent
à sa dimension interactive et à la double procédure
qu'elle induit : d'actualisation furtive dans la consultation, de programmation
et de mise en mémoire à la conception, et en constituent
la nature paradoxale : la mémorisation de l'éphémère,
l'inscription définitive de la dissolution des formes dans leurs
réitérations et variations infinies, la trace d'un inactuel,
provoquent le trouble. Trouble de l'image qui se rapproche de la musique
et de sa double temporalité, avec l'inscription de l'úuvre musicale
dans le temps objectivé de la partition matrice, et dans le temps
de son interprétation qui se donne, elle, dans la subjectivité
du moment vécu [11].
L'image numérique et l'úuvre multimédia associent le visible,
si ce n'est à l'ineffable, du moins à l'"uchronique" [12],
autre forme de l'intemporel. Si André Malraux avait perçu
ce devenir irréel-intemporel-surnaturel de l'úuvre d'art, c'est
aussi parce qu'il prévoyait déjà le devenir musée
des œuvres, non en raison de la mise sur support numérique
des reproductions, et de la création de banques d'images, Vidéomuseum
ou Louvre virtuel, mais en raison de l'accélération du temps
de l'information qui convoque toutes les images de l'art dans un même
spectacle, rapprochant arbitrairement les plus éloignées
géographiquement, culturellement ou temporellement. Cette disponibilité
potentielle de toutes les œuvres d'art par leur reproductibilité
numérique annule-t-elle leur qualité d'aura, de mystère,
les rapporte-t-elle au rang d'objets sans âme, d'images machines,
ou les promeut-elle au rang de choses immatérielles et ineffables
? D'un côté, la perte du sens toujours attaché à
la chair vivante et à la présence, et de l'autre la sublimation
du sens toujours associée à l'essence des choses, présentes
ou absentes ?
La phénoménologie de la perception et la sociologie de
la réception des œuvres numériques resituent le
débat sous d'autres auspices, philosophiques ou cognitives avec
les perspectives développées par Marcin Sobieszczanski et
Jean-Louis Weissberg... De quelles façons le "spect-acteur" (Jean-Louis
Weissberg) augmente-t-il ses compétences perceptuelles et l'auteur
ses performances cognitives (Marcin Sobieszczanski) face à l'intelligence
renouvelée d'image-actrices, capables de dialoguer. Les modalités
de la coopération entre artistes et technologies, entre "spectacteurs"
et avatars, nous disent le devenir biotechnique de l'homme augmenté
de ses assistants informatiques. Le repérage et la différenciation
des usages des ressources du médium digital qu'analysent Isabelle
Rieusset-Lemarié et Annie Gentes montrent la richesse des réponses
dans les façons d'habiter ce second monde.
"Home multi-média", collectifs d'intelligences utilisent le foisonnement
de la texture numérique. Et si la matière, l'espace et le
temps peinent à trouver les définitions adéquates
à leur usage numérique, tant en s'aidant de l'espace plastique
de la post-modernité artistique, que des théories des sciences
de l'information, alors on est obligé de convenir de l'émergence
d'un nouvel espace-temps-matière dans l'ordre du représenté,
celui de la création numérique, apparition au moins aussi
révolutionnaire que le fût, en son temps, celle des lois de
la perspective mono-centrée qui transposa l'espace tridimensionnel
sur son calque bi-dimensionnel pictural avec un réalisme jamais
atteint, à l'époque du quattrocento italien. Les anciens
mythes religieux se virent petit à petit concurrencés et
remplacés par les représentations du monde quotidien, à
l'époque de la Renaissance, comme si la représentation d'une
réalité spirituelle s'accommodait de moins en moins bien
d'une représentation plus réaliste de l'espace et de la matière
sur le support peint. L'évolution des règles de la représentation
provoqua une évolution des mondes signifiés par les peintres
de la Renaissance. Or aujourd'hui, comme le note Marcin Sobieszczanski,
la production des algorithmes accroît la panoplie des moyens plastiques
et ouvre de nouvelles possibilités aux arts visuels.
l'image, en devenant numérique, propose désormais des
séquences de figures réversibles. Elle se tord, s'étire
et se retourne sur elle-même ; et ce qu'elle était à
l'instant précédent peut advenir à nouveau. Une exploration
de la plasticité temporelle de l'image, liée à sa
dimension algorithmique,introduit également une perception modifiée
de l'espace, ainsi que de la matière qui l'accompagne. Les visualisations
de notre inconscient dans certaines œuvres surréalistes
anticipèrent avec les moyens de la peinture ces distorsions de la
matière figurée devenue comme molle, liquéfiée.
Mais, ni l'espace plastique de la représentation figurative en perspective,
ni le cinéma avec sa succession de séquences organisées
en fonction d'une narration linéaire qui respecte une représentation
d'un temps vécu irréversible, ne nous aident à rendre
compte des qualités inédites des univers tridimensionnels
simulés par les technologies numériques. Et "l'image numérique,
par définition interactive à des niveaux divers, n'est plus
de l'ordre de la représentation, puisqu'elle ne redonne pas à
vivre ni à voir un présent enregistré mais des multitudes
de présents susceptibles éventuellement de s'actualiser à
l'écran" [13].
En revanche, le passage, en physique, de la représentation newtonienne
de l'espace-temps à la conception d'un espace-temps courbe, relatif
et quantique, initié par Einstein et continuée par d'autres
tout au long de ce siècle propose un modèle pertinent pour
rendre compte de l'évolution de la représentation picturale
classique --bidimensionnelle, réalisée à l'aide de
règles de la perspective qui ne pouvaient simuler que la profondeur--,
vers la simulation numérique du mouvement dans un espace virtuel
indépendant de l'enregistrement d'un quelconque "ici et maintenant".
La matière représentée par les techniques 3D épouse
la structure d'un espace-temps recomposé à partir de données
numériques, donc réversible, à l'instar d'une équation
mathématique, et qui peut par conséquent représenter
des figures récursives, évolutives et involutives, comme
en proposent par exemple les images de Jean-François Colonna, artiste
et mathématicien, de William Latham ou de Waliczki [14].
en fonction de l'échelle, des déformations de la matière
sont perceptibles, dans le monde observé par les physiciens, comme,
en fonction de la programmation, des déformations de la matière
digitale sont réalisées. La création numérique
invente ce que la physique contemporaine observe. Les mondes virtuels sont
une copie du réel contemporain, celui que les physiciens objectivent
dans leurs théories. Celui que les découvertes scientifiques
les plus importantes inscrivent dans nos imaginaires. Ainsi ces mondes
courbes décrits par la physique inspirent-ils certaines œuvres
de Maurice Benayoun telles que "Dieu est-il plat ?" ou "Le diable est-il
courbe ?" [15]. Les
repères de sens ne sont donc plus spatio-temporels dans les théories
de la physique contemporaine, ni dans les créations originales de
l'art numérique et on line. "Dans ce nouvel espace-temps
tissé par la lumière et gravé par la matière,
il n'y a plus aucun cadre absolu, plus aucun référentiel
universel" [16].
Les formes de l'art numérique contemporain deviennent des avatars
à leur insu des représentations du monde produites par les
théories scientifiques. La rationalisation du monde annoncée
par Max Weber et décrite par Pierre Lévy [17]
est une rationalisation scientifique également à l'úuvre
dans la numérisation du signe et l'assignation de l'art à
son programme de standardisation.
L'esthétique de l'algorithme conduit à la réversibilité
des formes et celle de la consultation à leur dissolution, quand
on se contente de les référer à leur matérialité.
Mais il suffit, pour les ressortir du néant virtuel qu'elles frôlent,
de retourner à ce qu'elles sont : éphémères,
peut-être, en même temps que mémoires, inactuelles en
même temps que permanentes, organiques en même temps qu'insaisissables,
bref ineffables et certaines.
Les expérimentations artistiques qui explorent la morphogenèse
de créatures artificielles imitent quant à elles les manipulations
génétiques de la matière organique. Des artistes multimédias
tels que Laurent Mignonneau et Christa Sommerer [18]
conçoivent des êtres bifides, à mi-chemin entre le
biologique et la machine qui rassemblent dans un même imaginaire
artistique, les dernières générations d'organismes
génétiquement modifiés, les inventions littéraires
de Mary Shelley et les êtres étranges qui hantent nos sciences-fictions.
Elles contribuent aussi à nous libérer de nos peurs face
à l'horreur possible devant les avancées des sciences et
manipulations technologiques du vivant [19].
Codage génétique et codage numérique se répondent
et subvertissent également les temporalités biographiques
de la succession des générations humaines. L'inférence
des formes informatiques ne cesse donc d'inventer de nouveaux mondes, où
sciences et fictions se mêlent. Et quand les frontières de
l'art, à l'instar de celles du vivant deviennent poreuses à
toutes les folies comme à toutes les rationalités, le trouble
des images se double d'un trouble anthropologique sur l'identité
de notre devenir. Mais le mystère des images comme le mystère
de la vie doivent à la réalité énigmatique
du temps leur heureuse survie. Car "Pouvoir à loisir remettre
le compteur du temps à zéro --que son écoulement soit
ensuite réversible ou non--, réinitialiser indéfiniment
l'initial, substituer l'éventuel à l'événement
confère désormais au moindre d'entre nous une puissance démiurgique
sans précédent. Mais, cette puissance, nous ne la possédons
que pendant les instants limités dont l'ordinateur nous fait profiter.
Il arrive toujours un moment où le pilote descend de son simulateur,
où le scientifique abandonne sa console, l'enfant son jeu électronique,
un moment où l'on sort du "temps réel" pour affronter la
réalité du temps et son énigme. Par un juste retour
des choses, le Temps prend alors sa revanche."[20]
Partie nº2 : Pour élargir et poursuivre la lecture
2-1 Ouvrages
-
Barboza Pierre, Les nouvelles images, Somogy, Cité des sciences
et de l'industrie, Paris, 1997.
-
Colonna Jean-François, Images du virtuel, Paris, Addison-Wesley,
1994.
-
Couchot Edmond, La technologie dans l'art, de la photographie à
la réalité virtuelle, Nîmes, ed. Jacqueline Chambon,
1999.
-
Couchot Edmond, Images : de l'optique au numérique, Paris,
Hermes, 1988.
-
De Kerckove Derrick, The skin of culture, investigating the new electronic
reality, Toronto, Somerville House, 1995.
-
Debray Régis, Vie et mort de l'image, une histoire du regard
en Occident, Paris, Gallimard, 1994.
-
Forest Fred, Pour un art actuel, l'art à l'heure d'internet,
Paris, L'Harmattan, 1998.
-
Huhtamo Erkki, From kaleidoscomanie to cybernerd. Towards an archeology
of the media, ISEA 1994, Helsinki,Minna tarka, Institut des Arts et
du Design.
-
Lévy Pierre, La machine univers. Création, cognition et
culture informatique à l'ère informatique, Paris, La
Découverte, 1987.
-
Lévy Pierre, L'idéographie dynamique, Le concept moderne/
Editions, Genève, 1991.
-
Lévy Pierre, Cyberculture, Paris, Odile Jacob, 1997.
-
Lovejoy Margot, Postmodern currents, Art and Artists in the age of Electronic
media, Upper Saddle River, N. J. , Prentice Hall, 1997.
-
Martin Jean-Clet, l'image virtuelle, essai sur la construction du monde,
Paris, Kimé, 1996.
-
Moulin Raymonde, Le marché de l'art, mondialisation et nouvelles
technologies, Paris, Dominos, Flammarion, 2000
-
Moles Abraham, Art et ordinateur, Paris, Blusson, 1990, 1ère
édition 1971.
-
Moser M. A., Immersed in technology. Art and virtual environments,
Cambridge, Massachusetts, MIT Press -Banff Center for the Arts, (coll.
Leonardo books) 1996.
-
Pickover Clifford, Visions of the future : art, technology and computing
into the twenty-first century, New York, St-Martin Press, 1992.
-
Poissant Louise (dir.), Dictionnaire des arts médiatiques,
Presses de l'Université du Québec, Montréal, 1997.
-
Poissant Louise, Esthétique des arts médiatiques,
Québec, Presses de l'Université du Québec, Montréal,
1995.
-
Popper Franck, L'art à l'âge électronique, Paris,
Hazan, 1993.
-
Renny S., Critical issues in electronic media, Albany, New York,
Suny Press, 1995.
-
Rieusset-Lemarié Isabelle, La société des clones
à l'ère de la reproduction multi-média, Arles,
Actes Sud, 1999.
-
Sauvageot Anne,Voirs et savoirs, esquisse d'une sociologie du regard,
Paris, PUF, Sociologie d'aujourd'hui, 1994.
-
Shanken Edward, Roy Ascott writings, University of California Press,
Berkeley, 1999.
-
Sobieszczanski Marcin, Eléments d'esthétique cognitiviste,
Paris, L'Harmattan, coll. Ouvertures philosophiques, 2000.
-
Sobieszczanski Marcin, Les artistes et la perception, Paris, L'Harmattan,
coll. L'art en bref, 2000.
-
Stiegler Bernard, La technique et le temps,
tome 1 "La faute d'Epiméthée", Paris, Galilée,
1994,
tome 2 "La désorientation", Paris, Galilée, 1996.
-
Weissberg Jean-Louis, Présences à distance, pourquoi nous
ne croyons plus la télévision, Paris, L'Harmattan, 1999.
2-2 Ouvrages collectifs et actes de colloques
-
Beau Franck, Dubois Philippe, Leblanc Gérard (dir.), Cinéma
et dernières technologies, De Boeck université, INA,
1998.
-
Blin Odile, Sauvageot Jacques (dir.), Images numériques, l'aventure
du regard, École régionale des beaux-arts de Rennes,
Presses universitaires de Rennes, Rennes,1997.
-
Borillo Mario, Sauvageot Anne, Les cinq sens de la création.
Art, technologie et sensorialité, Seyssel, Champ Vallon, 1996.
-
Château Dominique, Darras Bernard (dir.), Arts et multimédia,
L'úuvre d'art et sa reproduction à l'ère des média
interactifs, Paris, Publications de la Sorbonne, 1999.
-
Duguet Anne-Marie et alii, Jeffrey Shaw-a user's manual. From expanded
Cinema to virtual reality, Edition ZKM, 1997.
-
Foresta Dan, and alii, Le nouvel espace de la communication. Interface
avec la culture et la créativité artistique, pour le
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-
Mignonneau Laurent, Sommerer Christa, Art @Science, New York, 1998.
-
Patrimoine et multimédia, Actes du colloque des 23-25 oct.
1996, BNF, La Documentation française, 1997
-
Weissberg Jean-Louis (dir.), Les chemins du virtuel, simulation informatique
et création industrielle, Centre Georges Pompidou, Paris, 1989.
2-3 Articles
-
Caillaud Bernard, "Sonagraphic art", Leonardo, vol. 30, nº1,
1997.
-
Couchot Edmond, "Des outils des mots des figures : vers un nouvel
état de l'art", in Réseaux, nº61,mars 1993
-
Foresta Don, Mergier Alain, "Artistes en réseau : un art de la préfiguration",
in Revue d'esthétique, nº 25, 1994.
-
Latour Bruno, "L'úuvre d'art et sa reproduction numérique, voilà
trois cent cinquante ans que les artistes numérisent les images",
in La Recherche, nº 305, Janvier 1998.
-
Schaeffer Jean-Marie, "Multimédia autographique et multimédia
allographique", in Revue Virtuelle, activité du virtuel,
Paris, Musée national d'art moderne, 1997.
2-4 Numéros spéciaux de revues et revues spécialisées
-
Hillaire Norbert, Jaffrenou Michel, "Nouvelles technologies, un art sans
modèle", Art Press, hors-série nº12, 4ème
sem. 1991.
-
"Techno-anatomie des cultures électroniques", Art Press,
hors-série nº19, 1998.
-
Hillaire Norbert (dir.), "Internet all over, l'art et la toile", Art
Press, hors-série nov. 1999.
-
"Nouvelles images, nouveau réel", Cahiers internationaux de sociologie,
vol LXXXII, janvier-juin 1987.
-
"Image de synthèse: un art?",Dossiers de l'audio-visuel,
Brie-sur-Marne, nº 15, sept.-oct. 1987.
-
"L'enfance de l'art numérique", Le monde interactif, 23 févr.
2000.
-
"Vers une nouvelle pensée visuelle", Réseaux, nº61,
CENT, Paris, sept. oct. 1993.
-
[Ec/arts : ]#2 [spécial, textualités & nouvelles_ nouvelles
technologies] Paris, voir aussi le site <http://www.ecarts.org>.
2-5 Études et rapports
-
Balpe Jean-Pierre, Quelques concepts de l'art numérique,
<http://www.labart.univ-paris8.fr/chantier/nouv/anne-gaelle/art-num-JPB.html>
-
Bureaud Annick, Pour une typologie de la création sur internet,
<http://www.olats.org>
-
Norman Sally Jane, Sirot Jacques, Transdisciplinarité et genèse
de nouvelles formes artistiques, Rapport d'études, Délégation
aux arts plastiques, Ministère de la culture, 1997.
-
Risset Jean-Claude (dir.), Art-science- technologie, Rapport de mission
pour le Ministère de l'éducation nationale, de la recherche
et de la technologie,1998.
<http://www.education.gouv.fr/rapport/risset/webs.htm>
-
Sauvageot Anne, Leglise Michel, Fourmentraux Jean-Paul, Azam Martine,
Culture
visuelle et art collectif sur le web, Rapport de recherche, DAP, Ministère
de la Culture et de la Communication, 1999.
<http://www.culture.gouv.fr/culture/mrt/bibliotheque/sauvageot/sauvageot.htm>
2-6 Autres adresses de sites sur le sujet
Voici quelques adresses de sites liés d'une façon ou d'une
autre aux arts et nouvelles technologies, en tant que lieux de création
de diffusion, de recherche de formation. Les sites dans ce domaine sont
nombreux et très diversifiés et en perpétuel mouvement
; cette liste, partielle est donc seulement indicative. On renverra pour
une liste plus complète à <http://www.education.gouv.fr/rapport/risset/webs.htm>
Notes
-
1
-
Pour plus d'informations sur cet artiste, voir Sobieszczanski
Marcin, Perceptions d'artistes, Paris, L'Harmattan, 2000.
-
2
-
Dans son introduction à Sociologie et épistémologie
de Georg Simmel, Paris, PUF,1981, Julien Freund résume ainsi cette
notion :
"Le devenir vécu est chaotique, il n'est accessible
à la connaissance et à l'action que par une information (formung),
mais de plus la même matière que l'histoire informe peut l'être
également par d'autres activités, tels l'art, la politique,
la science ou l'économie. Il ne faut donc pas prendre uniquement
la notion de forme dans son sens étroit de représentation
d'un objet particulier, mais dans le sens large des diverses activités
humaines."
-
3
-
La culture et les pratiques engendrées par le
world wide web permettent la formation de communautés d'artistes
et de pensée, qui se frayent un espace alternatif en dehors des
institutions de l'art et des institutions sociales, voir à ce propos,
Granger Valéry, "World wide Art", in "Techno-anatomie des cultures
électroniques", Art Press, hors-série nº19, 1998.
-
4
-
Expression proposée par Weissberg Jean-Louis dans
"Les images objets virtuels : regard, présence et perception", in
Blin Odile, Sauvageot Jacques (dir.), Images numériques, l'aventure
du regard, Rennes, École régionale des Beaux-Arts, Presses
universitaires de Rennes, 1997.
-
5
-
Voir à ce propos, le texte de Harald Szeemann
d'introduction au catalogue de l'exposition Les machines célibataires
à la Kunsthalle de Bern, en 1975.
-
6
-
Voir le site de l'artiste à l'adresse : <http://www.benayoun.com>.
-
7
-
Cette úuvre et les autres productions de cette artiste
sont visibles sur le site <http://www.map-fr.com>.
-
8
-
On peut se reporter pour cela à la publication
de Sobieszczanski, Éléments d'esthétique cognitiviste,
Paris, L'Harmattan, coll. Ouverture philosophique, 2000, ainsi qu'à
l'ouvrage collectif dirigé par Mignonneau Laurent et Somerer Christa,
Art @Science, New York, 1998.
-
9
-
CD-Rom "Immémory", Chris Marker, édité
par le Centre Georges Pompidou, en 1997.
-
10
-
Notion formulée par Edmond Couchot, "l'úuvre
amont" renvoie au travail du concepteur, et se distingue de "l'úuvre aval"
considérée et transformée par celui qui la consulte.
-
11
-
Voir à ce sujet : Hennion Antoine, La passion
musicale, Paris, Métailié, 1993, et également
"La musicalisation des arts plastiques", in Blin Odile, Sauvageot Jacques,
op.cit.
-
12
-
Voir à ce propos Martin Jean-Clet, L'image
virtuelle, essai sur la construction du monde, Paris, Kimé,
1996.
-
13
-
Couchot Edmond, "La synthèse du temps", in "Les
chemins du virtuel, simulation informatique et création industrielle",
Cahiers du CCI, nº spécial, éditions du Centre
Pompidou, 1989.
-
14
-
Voir "The forest", création de Thomas Waliczki,
présentée sur le CD-Rom Artintact 2, artists interactive
CDROM magazine, ZKM, 1995.
-
15
-
Voir le site http://www.benayoun.com
et cliquer sur "The big questions, in virtual reality art installations".
-
16
-
Luminet Jean-Pierre, "Matière espace temps",
in Klein Etienne & Spiro Michel, Le temps et sa flèche,
Paris, 1994, réed. 1996, Flammarion.
-
17
-
Lévy Pierre,La machine univers. Création,
cognition et culture informatique, Paris, La Découverte, 1987.
-
18
-
Voir par exemple, "A-Volve" à l'adresse <http://www.kah-bonn.de/1/4/0e.htm>.
-
19
-
L'artiste et architecte Giovanelli exprime oralement
ces peurs lors des rencontres d'Art Jonction, à Nice, septembre
2000 à peu près en ces termes : "Internet navigue entre Mozart
et le docteur Mengele".
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20
-
Couchot Edmond, op. cit.
© "Solaris", nº7, Décembre 2000 / Janvier
2001.