DANS LE CYBER-ESPACE ON NE VOUS ENTEND PAS CRIER

Michel Redolfi






PRÉAMBULE

La musique est au multimédia (celui du CD Rom) ce que le piano fut au cinéma muet : un pis aller pour masquer le vrombissement technologique. Il y a un siècle, le cliquetis du projecteur était couvert par les "improvisations" du pianiste. De fait, ce dernier enchaînait un répertoire de courtes musiquettes répétables (répétitives chez Satie) qui surlignaient l'action ou faisaient patienter la lecture des cartons. Pour la première fois, la musique fut asservie au temps machinal. Les querelles de styles (être modernes ou pas) perdirent d'intérêt devant le nouveau métronome, une croix de malte qui tire 24 fois par seconde un ruban d'images. Un point c'est tout.





VESTIBULE

Un point d'orgue qui se prolonge aujourd'hui :
Dans un CD Rom, la musique est réduite à des boucles sonores d'ambiance très convenues et quelques effets sonores accompagnant pas à pas (bit après bit) la navigation de l'utilisateur. L'empire de la croix de malte cède la place à l'invasion des souris et impose encore à la musique le joug de cadences infernales. D'ailleurs on n'écoute plus celle-ci. Optionnelle, la bande son d'un programme interactif peut être même désactivée si l'animation visuelle manque de fluidité !
La musique n'accompagne donc plus l'image. On dit qu'elle l'«habille». A ce niveau d'esclavage on devrait franchement lui faire quitter le vestibule des serviteurs et la relâcher ; l'affranchir et l'oublier un instant.
C'est ce qui s'accomplit dans le vide galactique d'Internet, espace intemporel et sans murs, sans rythme ni acoustique et où la musique a "naturellement" perdu tout son sens. Elle est devenue in-signifiante.
Ironie des temps modernes, le texte, lui, est revenu en force et gagnant la course à l'affichage, a contraint l'audiovisuel à économiser enfin ses signes ou... à dégager. Il dégagea. Après quelques années d'écrits bruts (E-mail), l'image a repris modestement le terrain du réseau (Web) en retrouvant la force des icones déployées (avec lenteur !)... dans un monde silencieux. Au bonheur des moines.

Mais voilà qu'au fond de la galaxie WWW, tels de faibles pulsars, des sites Internet très éloignés émettent quelques rares sonorités. Point de vacarme, mais des rayonnements primitifs qu'il faut savoir capter avec la science des premiers radios amateurs. Penchés sur les PC, comme nos grand pères sur le poste à galène, les nouveaux auditeurs décryptent les rumeurs assourdies et fragmentées (échantillonnées) de cultures lointaines. Pas de synchronies à l'image. Le son pour le son. Peu à la fois ; ou pas du tout. (Shockwave ou Java ?)





NOCTAMBULE

Je suis pour l'immersion dans un monde du silence en attendant le monde sonore nouveau.
Mais à sa consécration, celui-ci devra nous faire entendre autre chose que "de la musique sur Internet". Le son dans le cyberespace doit changer de valeurs et d'échelle:
>L'infiniment petit
L'espace virtuel est sans acoustique. Espace onirique, il est sourd comme le sont les alcôves du rêve. Les songes n'ont pas de bandes son. Quelques chuchotements. Certains cris. Pas de musique.
Les sons les plus réussis sur nos ordinateurs actuels sont les plus courts et les plus épurés : "Bips" d'avertissement... Bulles sonores d'économiseurs d'écran. Ils sont proportionnés à l'espace intime. C'est dans cette approche Zen qu'il faudrait prospecter... Des créations de "presque rien" sonores (Ferrari).
>L'infiniment grand :

...ce ne sera pas le nouveau concert des Rolling Stones sur Internet, pari qui ne vaut pas mieux que le vieil adage du chameau à faire passer par le chas de l'aiguille. Mais ce pourraient être :
Des micros ouverts sur des espaces inhabitables (Bayle).
Des babillages venus de forums planétaires.
Des sonothèques d'objets sonores personnels ou non identifiés (OSNI) réunies en réseau.





IL DÉAMBULE:

(toujours parmi nous, depuis son espace)

"Je n'ai jamais écouté aucun son sans l'aimer. Le seul problème avec les sons, c'est la musique"

John CAGE







Michel REDOLFI



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Notes complémentaires :

ShockWave de MacroMedia dont l'heureuse apparition est postérieure à la rédaction du présent texte n'annule nullement le constat concernant le manque de synchronisme entre image et son sur Internet. Toute personne ayant tenté avec "Director" de MacroMedia de synchroniser une séquence d'image sur une musique afin d'obtenir un résultat fiable quel que soit l'ordinateur lecteur sait de quel manque il s'agit. Quand à la magnifique Java que laisse sous entendre l'intitulé d'un langage de programmation par ailleurs alléchant, il nous faut bien admettre que pour l'instant les usages les plus efficaces de celui-ci fonctionne tout aussi bien pour les malentendants (ce qui n'est pas une de ses moindres qualité).