http://www.parachute.ca/107/edito_sommaire.htm#editofr
On line: 1 dec 2002 11:38h
 
 
Carsten Nicolai, wellenwanne, 2001, matÈriaux mixtes_mixed media; photo: Bob Goedewaagen, Rotterdam, photo reproduite avec l'aimable permission de l'artiste_Courtesy the artist.
07_08_09_2002  
"Electronic music 
is the future, very much 
the future." _Glenn Gould

ESSAI VISUEL_VISUAL ESSAY
par_by Caroline Hayeur

ÉLECTROSONS_ELECTROSOUNDS
par_by Chantal Pontbriand

DIGITAL MUSIC AND MEDIA THEORY
by Achim Szepanski

ELECTRIC READYMADE
ELECTRIC READYMADE
par_by Raymond Gervais

PRODUCING NOISE: oval and the politics of digital audio
Produire le bruit: Oval et la politique du son numérique
by_par Brady Cranfield

LAPTOP MUSIC - counterfeiting aura in the age of infinite reproduction
by Kim Cascone

SOUND AND "THE VICTORIOUS REALM OF ELECTRICITY"
by Tim Hecker

SOUND ART/SOUND BODIES: electronic music's anatomy lessons
SOUND ART/CORPS SONORES. les leçons d'anatomie de la musique ÉLECTRONIQUE
by_par Philip Sherburne

TRANSFERT ET TRANSFORMATION: stratégies à l'úuvre chez carsten nicolai
TRANSFER AND TRANSFORMATION: strategies in the úuvre of carsten nicolai
par_by Martin Pesch

DE LA SINGULARITÉ DU SON
par Vincent Epplay

INFORMATIQUE MUSICALE. Formation et transformation d'une communauté artistique et technoscientifique
par Marc Battier

MONTRÉAL MUSHROOM GATHERING: ruminations on a town full of sounds and scenes
MYCOLOGIE URBAINE: Montréal, ses scènes et ses sons
by_par bernard schütze

RÉTROSPECTIVE_FLASHBACK

ÉCHOS ET MOUVANCES_ECHOES AND SHIFTS
IMAGES AMPLIFIÉES par Maude Dessaignes
DEVIANT DISCOURSES: an interview with critical art ensemble by Don Simmons

LIVRES ET REVUES_BOOKS AND MAGAZINES
par_by Jim Drobnick, Petra Halkes, Ana Honigman, Jean-Ernest Joos, Darcey Nichols, Jody Patterson, Sylvie Tourangeau
 


 

Électrosons

Chantal Pontbriand

PARACHUTE sort du champ du visible pour s'intéresser au son. Ce numéro s'inscrit dans une suite qui en comprend plusieurs consacrés à l'"Idée de communauté" (100, 101 et 102) et à différentes formes de réflexion engendrées par l'idée qu'on peut vouloir se faire de la communauté (comment on la vit, comment on la gère) avec les numéros "Autofictions" (105) et "Économies" (106). Le son apparaît comme étant un phénomène de communauté qui s'affirme de plus en plus dans l'environnement social et artistique des dernières années. La mode techno, les raves, l'évolution des technologies du son, parallèlement au développement de la recherche musicale, ont engendré une nouvelle donne. Les festivals Sonar à Barcelone et mutek à Montréal en sont devenus, entre autres, les lieux de mise en scène et de révélation.

Un certain nombre de questions nous sont venues à l'esprit à l'approche de ce numéro où nous nous concentrons spécialement sur les musiques électroniques de recherche. Qu'y a-t-il de singulier dans les pratiques artistiques qui utilisent le son électronique comme matériau? Quels sont les concepts nouveaux qui s'en dégagent? Est-ce que les technologies numériques transforment la pratique de l'art: l'objet, les lieux de diffusion, le rapport artiste-spectateur, producteur-consommateur, les réseaux de diffusion et de communication? Qu'en est-il de la notion de communauté au sein des acteurs mêmes de la scène des musiques électroniques? Y a-t-il des communautés repérables au sein des musiques électroniques dites de recherche? Quelles sont-elles? Qui sont, sur le plan des artistes, les figures de proue, et pourquoi les considérer comme tels: qu'est-ce qui constitue leur leadership ou leur excellence? Quels sont les rapports ou non-rapports entre la scène commerciale et la recherche? Quels nouveaux rapports la technologie numérique sonore vient-elle instaurer avec le visuel? Qu'en est-il aujourd'hui de l'installation sonore? Quel impact l'Internet peut-il encore avoir sur la pratique d'un art du son?

Nos auteurs et collaborateurs ont saisi l'intérêt de ces questions. Achim Szepanski est un philosophe spécialiste de Michel Foucault qui a fondé l'étiquette Force (et sa sous-étiquette Mille Plateaux en référence à Gilles Deleuze). Raymond Gervais est un artiste visuel dont le travail cartographie la musique depuis toujours et qui a lui-même longtemps úuvré dans le champ de la diffusion des nouvelles musiques. Plusieurs artistes, dont certains s'inscrivent dans les réseaux mêmes de la musique électronique, ont répondu à l'appel. Kim Cascone et Tim Hecker comptent parmi ceux-là, de même que Vincent Epplay. Philip Sherburne s'attarde aux "résonances corporelles" du phénomène. Martin Pesch présente le travail de Carsten Nicolai qui s'affirme aujourd'hui comme étant un maître dans son domaine, rigoureux et subtil, jouant tant de l'électronique que du champ visuel lui-même. Le compositeur Marc Battier explore les différentes pistes qui ont mené au phénomène actuel sur le plan de la cybernétique. Bernard Schütze décrit la scène propre à Montréal, démontrant que l'urbanité et certaines contingences socio-historiques constituent un terrain particulièrement propice à l'engendrement des nouvelles musiques électroniques. Dans notre section "Échos et mouvances", qui nous permet digressions et apartés, Maude Desseignes explore une vision élargie du phénomène sonore à travers les úuvres d'artistes visuels dont Tacita Dean, Jeremy Diller, Douglas Gordon, Christian Marclay. Enfin, Don Simmons expose le travail décapant du Critical Art Ensemble, qui s'apparente aux modes de faire et aux ruses existentielles des réseaux électroniques que ce numéro met à l'avant-scène. 

Ce numéro, qui ne pouvait se passer d'être lui-même "sonore", s'accompagne d'un disque compact de Tim Hecker (Jetone), (disponible sur demande). Ne pouvant pas non plus ne pas être un peu visuel tout de même, il comprend un portfolio de photographies de Caroline Hayeur, d'où émerge le corps-sonore du monde des électrosons. 

Ces réseaux consacrés aux musiques électroniques "indépendantes", ou de création, se développent en résistance à d'autres manières de faire du monde de la musique, institutionnalisées et commercialisées, remises en question ou tout simplement dépassées par la mouvance actuelle. Le monde change, la musique aussi. Ses modes de création, de production et de diffusion sont transformés et expriment des dynamiques, des intensités et des réalités que l'on reconnaît comme étant celles qui correspondent aux temps présents, au monde tel qu'il se vit maintenant avec ses enjeux, ses impasses et ses retournements. "La musique électronique représente l'avenir." Ce grand pianiste et penseur qu'était Gould énonçait ce constat en 1968 déjà1. Pour poursuivre dans le sens de cette réflexion, peut-être peut-on dire que l'avenir du monde est "musical", comme le souhaitait si ardemment Friedrich Nietzsche, en plus d'être électronique. C'est-à-dire que la musique électronique, sortie aujourd'hui des germinations de l'histoire, de ses retranchements académiques, ou de ses usages populaires under comme over-ground, produit un monde d'électrosons dont la portée créatrice est en pleine expansion et interroge avec vivacité notre rapport au monde en général. Cette démarche, qui exploite le matériau musical lui-même au-delà des codes, des outils et des instruments, fait place à de multiples agencements, qui prennent en compte avancées et ratages tout de go. Le son électronique fait se rejoindre individus et individualités dans moult réseaux où ceux-ci font lien et génère un nouvel être-ensemble, autre conception du monde, ouverte et propice à l'éclosion de l'imaginaire individuel et collectif. En ce sens, "musique" et monde se conjuguent pour marquer la communauté qui vient.

Ce qui m'apparaît particulièrement remarquable dans ce phénomène, au-delà des différentes possibilités d'expression individuelle ou de réorganisation des champs traditionnels de la production et de la diffusion que cela représente, c'est que ce mouvement s'organise autour d'un matériau essentiellement abstrait. Ici, l'abstraction rassemble et lie. On peut se demander ce que ces électrosons vont chercher dans le tissu cognitif et affectif de tous ceux qui les produisent, et les écoutent. Quelle est la dynamique circulaire, régénérante, qui s'y crée? Effectivement, on ne peut s'empêcher de penser, comme Achim Szepanski, qu'il s'agit là d'un univers rhizomatique, qui permet aux intensités de s'éveiller et d'exister sans que le poids du monde ne les atrophie autant qu'ailleurs. Nul doute, à voir aujourd'hui l'importance des praticiens, des productions, des événements et des amateurs, que les électrosons produisent du sens, et du sens commun. Serait-ce là l'expression de la communauté sans communauté, une communauté qui soit en dehors des catégories de sens, des savoirs réifiés, organisés et souvent étouffés? Une exploration de la "pensée-outre-mots" qui nous mène au-delà du champ du convenu et qui vise l'exploration du potentiel de liberté de l'humain.

Il y a quelques mois, l'un de ces nouveaux cracks de l'abstraction, Carsten Nicolai, passait par mon bureau alors qu'il s'apprêtait à participer à un Micro-mutek ici à Montréal. Autant fut ma joie de rencontrer ce merveilleux artiste, autant fut la sienne apparemment de découvrir les anciens numéros de parachute. Spécialement celui où figurait Laurie Anderson en 1979. Je crois qu'il se reconnut dans le graphisme très pur, en noir et blanc, de cette époque, semblable à son propre travail. Aussi, comment ne pas être sensible à la fulgurance des concepts mis de l'avant par Laurie Anderson, dont toute l'úuvre met en scène le son et le potentiel de pensée donné par l'électronique (je suis certaine que Glenn Gould aurait aimé Laurie Anderson!). Cette anecdote me rappelle par ailleurs la longue histoire qui lie parachute au monde des sons électroniques à travers les nombreux textes que nous avons aussi publiés au fil des ans - voir à ce sujet notre section "Rétrospective/Flashback", créée pour l'occasion - sur Philip Glass, Steve Reich, Terry Riley, Michael Snow, Alvin Lucier, La Monte Young, Pauline Oliveros et Robert Ashley, parmi d'autres. Autant de monuments dont la pensée radicale nous anime encore!

Raison de plus de se réjouir de ce numéro qui nous permet de constater que nombre d'artistes et d'auteurs sont aujourd'hui sur ces pistes fascinantes et poursuivent la réflexion.
 

Notes
1. Glenn Gould, Concert Dropout, en conversation avec John McClure, disque Columbia, 1968.

Je remercie Raymond Gervais et Alain Mongeau, directeur artistique du festival MUTEK, de nous avoir si généreusement conseillés pour ce numéro.


Electrosounds

Chantal Pontbriand

With this issue, parachute leaves the visual field and enters the field of sound. "Electrosounds" forms part of a series of several recent issues dedicated to the "Idea of Community" (# 100, 101 and 102) and to the different ways of conceiving communities (how we live in them, how we manage them) taken up in the issues "Autofictions" (105) and "Economies" (106). Over the past few years, sound has increasingly come to be seen as an element of social and artistic communities. The fashion for techno music, raves and advances in sound technology, alongside new experiments in musical composition, have given rise to a new field of artistic activity. The Sonar festival in Barcelona and the mutek festival in Montréal, among others, have become sites for staging and discovering new work.

As we began to prepare this issue, which examines experimental electronic music in particular, several questions came to the fore: what is unique about artistic practices which use electronic sound as their material? Which new concepts does this field bring to light? Do digital technologies transform artistic practice (the art object, its sites of exhibition, the artist-spectator and producer-consumer relationships, the networks for distributing and circulating the work)? What sense of community is there among the artists themselves who work with electronic music? Are there identifiable communities within the field of so-called experimental electronic music? What are these communities? Who are the leading artists in the field, and why are they seen as such: what constitutes their leadership or excellence? What sort of relationship exists, if any does at all, between the commercial and experimental milieus? Is digital sound technology establishing new relationships between the aural and the visual? What is the state of sound installation today? What impact can the Internet still have today on sound practices in art?

The writers and collaborators who contributed to this issue here grasped the interest of these questions. Achim Szepanski is a philosopher who specializes in the work of Michel Foucault and who founded the Force recording label (and its subsidiary label Mille Plateaux, a reference to Gilles Deleuze). Raymond Gervais is a visual artist whose work has always charted musical developments and who has also worked for many years to increase the exposure of new music. Numerous artists, some of whom work in the field of electronic music itself, responded to our call. Among them are Kim Cascone and Tim Hecker, as well as Vincent Epplay. Philip Sherburne considers the question of electronic music's "corporeal resonances." Martin Pesch presents the work of Carsten Nicolai, who is recognized today as a leader in the field: rigorous and subtle, he works both with electronic sound and in visual art. The composer Marc Battier explores the various paths that have led to contemporary work in cybernetics. Bernard Schütze discusses the electronic music scene in Montréal, demonstrating that an urban milieu and various socio-historical contingencies have been particularly favourable to the development of new electronic music. In the section "Echoes and Shifts," which allows for digressions and debate, Maude Dessaignes explores an expanded vision of sound phenomena through the work of visual artists such as Tacita Dean, Jeremy Diller, Douglas Gordon and Christian Marclay. Finally, Don Simmons introduces us to the essential work of the Critical Art Ensemble, work which pertains to production techniques and existential ruses also practised in the electronic music circles treated in this issue.

In this issue, we could not pass up the opportunity to be "aural," and have thus produced a compact disc by Tim Hecker (Jetone) (also available upon request). But we also couldn't pass up the opportunity to be a little bit visual just the same, and so we present a portfolio of photographs by Caroline Hayeur, which bring to light the materiality of the electrosound world.

These networks of "independent" or original electronic music develop in resistance to other, institutionalized and commercialized ways of creating music, which contemporary developments call into question or simply leave behind. The world changes, and with it music. The ways music is conceived, produced and heard are transformed and express the dynamics, sounds and realities that we recognize as belonging to the present day, to the contemporary world as we live it, with all its issues, impasses and reversals. "Electronic music is the future";1 already in 1968 the great pianist and thinker Glenn Gould could make such a statement. We might extend this thought and say that the future of the world is "musical," as Friedrich Nietzsche so fervently hoped, as well as being electronic. Which is to say that electronic music, having today emerged from its historical period of germination, from its academic confinement and its popular forms of use, both under and above ground, is producing a world of electrosounds whose artistic potential is rapidly expanding and vigorously questioning our relationship to the world in general. This project, which employs the stuff of music itself, beyond all systems, tools and instruments, creates a space for multiple ways of ordering sound which absorbs both innovations and misfires without skipping a beat. Electronic sounds bring individuals and individualities together in myriad networks, creating links and generating a new collective existence and a different way of thinking about the world, one that is open to and encourages a blossoming of the individual and collective imagination. In this sense, "music" and the world join to blaze the coming community.

What is particularly remarkable about this phenomenon, it seems to me, is the way this movement, beyond all the various possibilities for individual expression or for restructuring the traditional fields of production and distribution that it represents, is taking form around an essentially abstract material. Here, abstraction functions to unite and to create links. We might ask ourselves what these electrosounds do with the cognitive and affective matter of all those who produce and listen to them. What sort of circular and regenerative dynamic is being created here? One cannot help but think, with Achim Szepanski, that this is a rhizomatic universe, one which makes it possible for intensities to be born and to exist without being atrophied by the weight of the world. There can be no doubt, in light of the importance of electronic music producers, works, events and listeners today, that electrosounds create meaning, and meaning in common. Could this be the expression of a community without community, a community located outside the categories of meaning and of reified, structured and often stifled knowledge? A sort of exploration of "thought beyond words" which leads us beyond the realm of conventional knowledge and seeks to explore human freedom in all its possibilities.

A few months ago, one of these crack new abstractionists, Carsten Nicolai, dropped by my office shortly before participating in a Micro-mutek event here in Montréal. How happy I was to meet this marvellous artist, and how happy he was, it seems, to discover back issues of parachute, especially one in which we featured Laurie Anderson in 1979. I believe he saw himself in the pure, black-and-white design æsthetic of the time, which resembles his own work. And how could we not be affected by the flashing brilliance of the ideas of Laurie Anderson, whose entire úuvre brings sound to the forefront and highlights the potential the electronic has for thought (I'm sure Glenn Gould would have loved Laurie Anderson!). This anecdote prompts me to think of parachute's long history with the world of electronic sounds, as seen in the numerous texts we have already published over the years (on this subject, see the "Rétrospective/Flashback" section we have created for the occasion) on the work of Philip Glass, Steve Reich, Terry Riley, Michael Snow, Alvin Lucier, La Monte Young, Pauline Oliveros, Robert Ashley and many others. So many monumental thinkers whose ideas still inspire us!

One more reason, then, to celebrate the way this issue makes it possible to take stock of the artists and authors who today are following a fascinating course and continuing to reflect on this topic.

Translated from the French by Timothy Barnard

Note
1. Glenn Gould, Concert Dropout, conversation with John McClure, Columbia recording, 1968.

I would like to thank Raymond Gervais and Alain Mongeau, artistic director of the MUTEK festival, for so generously advising us on the preparation of this issue.

Couverture _ Cover

Carsten Nicolai, wellenwanne, 2001, matériaux mixtes_mixed media; photo: Bob Goedewaagen, Rotterdam, photo reproduite avec l'aimable permission de l'artiste_Courtesy the artist.
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18 février, 2001
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