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Conclusion:
Manière résistante díêtre du cinématographe

Extrait du mémoire de maîtrise intitulée « Jean-Marie Straub et Danièle Huillet: le cinématographe et l'esthétique de la Résistance » (Université de Paris VIII; U.F.R. Arts, Philosophie, Esthétique, Département d'Études cinématographiques et Audiovisuelles; Soutenu par Dominik Loss sous la direction de Jean Narboni; Membres du Jury: Denis Lévy, Jean Narboni et Jean-Claude Biette; 1995).

    Pour ne pas finir, pour ouvrir la question, je voudrais ici en quelques phrases donner en dessin la problématique telle quíelle est abordée dans ce travail. Dans líintroduction à la question, je disais que ceci ne serait pas la réflexion díune étude portant sur le rapport entre la résistance freudienne et le cinéma de Straub et Huillet. Mais de manière incontournable deux discours, deux fondateurs díun langage, deux auteurs[1], Sigmund Freud et Karl Marx sont venus se glisser et hanter ce travail. Et ce níétait que pour mieux mettre à jour ces deux hantises, un travail díinventions critiques que les analyses citées jusquíici ont explicitement ou implicitement accomplies, que je voulais les suspendre avec ce à quoi ils viennent en dernière analyse, en traitement pour líun, et en méthode pour líautre, porter secours : au problème du sens.

    En questionnant les figures, artistes, oeuvres-charnières, de rupture, de la résistance et de la Résistance, ce cinéma se propose lui-même comme un outil díécriture et de lecture de la relation de líidéalisme et du matérialisme, sous toutes leurs formes et donc natures. Ce sont précisement ces oeuvres et actes qui sont le fruit de telles réflexions, de telles expériences politiques et sociales. Il níétait nullement de mon propos díen faire líhistorique, mais de montrer, quíen tant que forme de pensée à part entière, le cinéma de Straub et Huillet réfléchissait la question même, et donc sa propre réflexion. Cíest à ses signes, indices, traces que se prêtait líattention, en montrant le travail díinvestigations, non-pas díune illusion, mais díune nouvelle réalité, à venir, présente et absente, manquante, etc. Tous les aspects analysés síorganisent autour de quelques idées cinématographiques invariables qui, par leur emploi répété au cours de cette étude, étaient guettées par la perte de leur sens. Il était ainsi question de résistances, dont le pluriel empêchait la formulation, leur mise en relation dans une stratégie díensemble. Les problèmes particuliers (rapports au monde, au corps, au sujet, à líespace, au temps, à son historicité), cíest-à-dire les résistances au pluriel, sont comme les pôles díune seule résistance, du principe esthétique divisé uniquement par cette analyse. Ce qui passe dans ce cinéma est le lieu de rapports de forces, de rencontres, díévènements, díune dispersion/concentration, díune institution/destitution, díun rassemblement, díune alliance, díune non-réconciliation, de la petite forme prenant pour cadre la grande. Avec le terme résistance, jíai voulu prendre à la lettre tous ces sens sans míarrêter à aucun.

    Le discours, la subjectivité et le vécu des corps-sujets se matérialisent, síincarnent ici dans les actes, postures et états de la résistance, de líentêtement et de líendurance. Dans les corps « en demeure de vivre et díagir » se réfléchit la condition díune possibilité de liaison de la trace et de líorigine, et en même temps celle de leur déliaison. Tout ce qui importe est le jeu, ces phénomènes que le film produit, non comme des fins, mais de nouveau comme des moyens díune production de sens. Là réside la tombe, le tombeau pour líoeil, précisement en ce que ni líorigine, ni la trace ne soient indivisibles, ni simples. Double impasse et double possibilité pour comprendre líhistoire, pour donner un sens aux petits déplacements déterminants dans la circulation des traces de traces, métaphoriques infinies, mais non sans que ce travail même le propose par celà. Líitérabilité (des traces), cíest-à-dire à la fois (leur) répétition et (leur) altération, double possibilité encore, est donc le principe générateur, líidée de cinéma et la position politico-esthétique de líacte cinématographique de Straub et Huillet. Cíest en ce sens que líentêtement et líidée fixe, comme autant de variantes díune répétition compulsive, díune résistance hyperbolique, sont une circulation métaphorique infinie, ou la matérialisation répétée et altérante du vécu de la résistance.

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[1]L'auteur comme fondateur d'un langage: Michel FOUCAULT, Quíest-ce quíun auteur ?, « Bulletin de la société française de philosophie » (Paris, juillet-aošt 1969).