T E L E P R E S E N C E 
 
 
 
 1 - Définition 
     
     
    Comme son nom l'indique, la téléprésence est une présence à distance. Elle implique deux lieux dans l'espace physique : le lieu de l'opération et les 
    lieux multiples des opérateurs à distance, la transaction s'opérant dans le cyberespace.
     
    On distingue actuellement deux types de téléprésence : 
     
    • une téléprésence "incarnée" (c'est-à-dire que le téléopérateur effectue une action concrête à distance, comme dans le cas de la télérobotique)
     
    • une téléprésence "désincarnée" dans laquelle le toucher "direct" n'existe pas, ou moins.
     
     
    La téléprésence engendre un nouvel état de conscience 
    et de conscience de soi. L'unicité de l'individu est rompue, le corps n'est plus limité à son enveloppe de peau, mais étendu, dans une sensation d'être "hors de son corps" ou "au-delà" de son corps. 
     
    L'individu est présent, simultanément, dans trois espaces : l'espace physique dans lequel il se trouve, l'espace physique de l'opération et le cyberespace de 
    la transaction. Il expérimente l'ubiquité, être simultanément dans divers endroits à la fois. 
    La distance est éliminée, mais c'est cette même 
    distance qui fonde la téléprésence.
     
    Par ailleurs, la téléprésence soulève, ou reformule, 
    un certain nombre de questions essentielles : celle 
    de la croyance, de la confiance, de la vérité telle 
    que nous la percevons par nos sens et du 
    bouleversement des échelles. 
     
    Peut-on croîre que nous sommes effectivement en train d'agir à distance via le réseau ou bien, ce que je 
    vois et ce que je crois agir par l'intermédiaire de 
    mon écran et du serveur n'est-il pas simplement un leurre, une banque d'images, une simulation ? 
    Quelle est la réalité que je vois ?
 
 
 
 
  2 - Exemples et analyses d'oeuvres
     
     
     
    RARA Avis, créée dans le cadre de l'exposition artistique des Jeux Olympiques d'Atlanta en 1996, 
    se composait d'une volière remplie d'oiseaux "réels" 
    et d'un perroquet télé-robotique muni de deux caméras. 
     
     
    • Le public sur place voyait la volière, la personne en interaction avec le télé-robot et le télé-robot.
      Une personne du public contrôlait à distance les mouvements du télé-robot (rotation de la tête) 
      et, avec un casque de réalité virtuelle, voyait l'environnement (la volière et lui-même) par l'intermédiaire de la caméra de droite du télé-robot. 
     
    • Le public sur Internet voyait par l'intermédiaire de la caméra de gauche du télé-robot la portion 
      de la scène sélectionnée par le manipulateur du télé-robot. Il pouvait en outre intervenir verbalement et les sons qu'il envoyait s'incorporaient dans le sensorium physique 
      des oiseaux et du public à Atlanta. 
     
     
    Le site Web était hébergé dans le Kentucky. Eduardo 
    Kac a réalisé plusieurs oeuvres de téléprésence, dont
    la série Ornitorinco. Avec Rara Avis, il introduit 
    en outre des notions de communication entre les 
    humains connectés et les humains sur place et avec 
    les oiseaux ainsi que des notions de surveillance 
    ou de voyeurisme. 
     
    Dans RARA Avis, tout le monde 
    voit tout le monde (y compris soi-même), entre 
    dans le regard de tous les autres.
 
 
 
RARA AVIS 
Eduardo Kac
Telegarden
Ken Goldberg
 
 
 
    Ken Goldberg a créé Telegarden en 1995 à l'Université 
    de Californie du Sud. De 1996 à 1997, fut présentée 
    à l'Ars Electronica Center. Elle est aujourd'hui démontée et seules subsistent les traces 
    documentaires sur un serveur.
     
    Telegarden consistait en un jardin dont on s'occupait 
    à distance parl'intermédiaire d'un télérobot. 
    Deux modes d'interaction existaient avec Telegarden : 
    le mode actif où l'on devenait membre et où on s'engageait à surveiller les plantes et à s'en 
    occuper et le mode passif où l'on pouvait 
    simplement aller voir le jardin par l'intermédiaire 
    de plusieurs caméras et suivrent l'évolution des végétaux (pousse, floraison, etc.). 
     
    Telegarden a engendré une communauté qui échangeait messages et commentaires. Cette oeuvre a également suscité un immense scepticisme : parmi ceux qui voyaient le jardin dans son espace physique (comme à l'Ars Electronica Center), certains n'arrivaient pas à croire que les plantes étaient arrosées, désherbées, plantées, etc. par une communauté de gens dans le monde entier, à distance ; parmi ceux qui se connectaient, certains n'arrivaient pas à croire qu'à des                milliers de kilomètres de leur écran se trouvait effectivement un vrai jardin.
     
     
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    Cette question de la réalité, ou de la vérité, est au coeur de Shadow Server  la deuxième oeuvre de Ken Goldberg, créée en juillet 1997 et encore en cours. 
     
    Shadow Server est, comme son nom l'indique, un 
    "serveur d'ombres". En Californie, une boîte contient divers objets éclairés par des dispositifs lumineux. 
    Le public peut agir à distance sur la position des sources lumineuses et produire ainsi des ombres différentes qui s'affichent alors sur son écran. 
     
    Avec Telegarden, il paraissait difficile de truquer l'expérience car la mise en oeuvre d'un dispositif falsifié aurait été plus lourde et compliquée que 
    le système prétendu. Avec Shadow Server, en revanche, construire une banque d'images d'ombres en noir et 
    blanc est immensément plus aisée que le dispositif réel. 
     
    Pourtant, nous croyons qu'il y a bien une boîte, 
    des objets, des sources lumineuses que nous pouvons orienter.  Quelle est la nature de ces "choses" 
    que nous avons sur le web ? Que croyons-nous avoir : 
    des choses ou seulement leurs ombres ? 
     
    Shadow Server est une oeuvre remaquable à plus d'un titre. Elle s'inscrit à l'opposé des tendances 
    actuelles dans la conception des sites web : pas d'images "flashy", pas d'applets Java, pas d'animations clignotant partout sur la page. Ce n'est pas non plus une oeuvre collaborative où l'on est invité à envoyer textes, images, sons et pensées profondes. 
     
    Ce n'est pas une structure hypertextuelle, rhyzomatique. Elle est en noir et blanc, il y a, en fin de compte, 
    peu à voir et très peu à faire. Shadow Server retourne les questionnements et les mots d'ordre de ces 
    dernières années dans l'art électronique. Elle ne rend pas "visible l'invisible" mais rend invisible ce qui normalement l'est, n'offrant que des ombres. 
    La "chose" elle-même est cachée. Ce qui est important, c'est l'ombre. L'ombre devient "la chose". Goldberg renforce ici la disparition de l'objet, amorcée au 
    début du siècle.
     
    Cependant, ce qui fascine avec Shadow Server, ce qui fait que l'on revient s'y connecter, sont ses qualités esthétiques. Ces images font penser aux photogrammes 
    de Moholy-Nagy. Elles capturent la lumière de manière subtile et l'apporte sur l'écran. Elles réintroduisent la contemplation dans un média où le flux et le mouvement sont les bases. Elles figent non seulement 
    la lumière mais aussi le temps, dans un équilibre délicat. Rapidement on se laisse prendre à leur piège, 
    à admirer leur complexité et leur simplicité, on se 
    perd dans leur profondeur. L'écran devient lumière 
    pure, une ombre.
  
 
 
Shadow Server 
Ken Goldberg
 
The Light 
on the Net

 Masaki 
Fujihata
 
 
 
    The Light on the Net de Masaki Fujihata aborde la téléprésence et la lumière d'une toute autre manière. Dans le hall d'accueil d'un bâtiment public de la préfecture de Gifu au Japon est installée une 
    sculpture lumineuse composée d'ampoules disposées 
    sur une matrice. Sur Internet, le public peut voir 
    la sculpture et surtout décider quelles seront les lampes éteintes ou allumés et ainsi la modifier. 
     
    Quoi de plus banal pour l'internaute que de cliquer 
    sur son écran sur des images d'ampoules et de voir ensuite une image qui a changé ? L'action semble 
    relever du degré zéro de l'action à distance. A la différence près que "là-bas", c'est l'environnement quotidien de gens qui travaillent et que "d'ici" 
    nous nous permettons de le modifier, nous les voyons traverser le hall, vivre. 
     
    The Light on the Net nous rappelle que cliquer sur une image est une action qui a des "vraies" conséquences, que "ici" et "là-bas" se télescopent et ne relèventp
    lus d'un nombre plus ou moins élevé d'heures d'avion.
  
 
 
 
Mars Pathfinder 
NASA/JPL
 
 
 
 
 
Le 4 juillet 1997, l'humanité a roulé sur Mars. L'équipe de JPL ne s'y est d'ailleurs pas trompée qui a titré la première image de Sojourner 
"Six Wheels on Soil". 
 
Mars Pathfinder (juillet-octobre 1997), NASA/JPL est la première expérience 
de téléprésence de cette ampleur. Dans son article Live From Mars , Eduardo Kac écrit que par delà la réalisation technique et scientifique, il s'agit également d'une expérience esthétique : Quelques uns des aspects esthétiques uniques à 
cet événement de téléprésence sont la relativité de l'espace et du temps [...] ;
la nature de l'interface humain-machine (combinaison de téléopération et d'autonomie du robot) ; la manipulation à distance ; [...] la capture, la transmission, la réception, le traitement et l'affichage des images ;
l'instantanéité des images [...] .
 
Nous ajoutons que si la mission Mars Pathfinder a pu être perçue comme une expérience d'ordre esthétique c'est parce qu'auparavant, des artistes avaient 
déjà modifié notre conscience et notre perception par des oeuvres de téléprésence. C'est aussi parce que, passé le jour de l'événement relayé par toutes les télévisions du monde entier, le quotidien, l'avancée, les blocages 
et les images prises par la sonde et le robot étaient accessibles, immédiatement, via Internet. 
 
Et, même si nous ne manipulions pas nous-mêmes le robot, comme les autres membres de l'équipe de JPL, comme les scientifiques, nous étions "penché 
par dessus l'épaule" des navigateurs de Sojourner. L'action de nous connecter régulièrement, d'une certaine façon, remplaçait, se substituait, à l'action de 
donner des ordres au robot. Comme ses navigateurs, nous utilisions les 
mêmes instruments, la même interface : un clavier et un écran d'ordinateur.
 
Il y aura, à l'avenir, d'autres oeuvres de téléprésence óet d'autres missions 
sur la planète rouge ou sur d'autres corps célestesó mais, pour la téléprésence 
et pour la télérobotique, il y aura un "avant" et un "après" Sojourner. 
     
 
< < < < < < <  R E T O U R