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Titre



Les mots pour le dire


(Lexique des musiques électroacoustiques)
Annette Vande Gorne
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(La très courte histoire de la musique électroacoustique est truffée de termes différents pour qualifier toutes les tendances de ce nouvel art. Je propose ici quelques définitions et un classement qui pourraient aider à y voir plus clair, avec toutes les réserves qu'une approche systématique impose.)


1
. Appellation esthétique ou historique ( E ) :
Musique concrète, électronique, sons organisés, expérimentale, électroacoustique, audio art, acousmatique.

2
. Appellation par l'instrumentation ( I ) :
Bande (ou support) seule, Tape Music, Computer Music, musique mixte, live electronic, musique interactive, multimédia.

3
. Appellation par genre d'oeuvres ( G ) :
Abstraites : études, suites.
Figuratives : musiques d'application, (films, ballet -- Henry-Béjart, par exemple), paysage sonore, musique environnementale, cinéma pour l'oreille, avec textes (mélodrame, recherche radiophonique).
Genres historiques : cantate, messe, opéra.


Quelques définitions

[Chion 1982 ; Bosseur 1992 ; Tiffon 1994 ; Schrader 1982]

( E ) ACOUSMATIQUE  : vient de akousma, perception auditive.
Terme employé par Pythagore qui enseignait à ses disciples caché par un rideau noir afin de développer leurs facultés de concentration. Repris en 1955 par l'écrivain Jérôme Peignot pour définir l'objet sonore : <<Quels mots pourraient désigner cette distance qui sépare les sons de leur origine... Bruit acousmatique se dit (dans le dictionnaire) d'un son que l'on entend sans en déceler les causes>>. En 1966, Pierre Schaeffer le rattache à l'écoute réduite [Schaeffer 1966].
Musique Acousmatique : En 1974, François Bayle, pour se démarquer des instruments électroacoustiques sur scène et des traitements en temps réel, élargit le sens du mot à une musique <<qui se tourne, se développe en studio, se projette en salle, comme le cinéma>>.
Art Acousmatique : De même que l'amalgame des débuts entre le cinéma et le théâtre n'a plus cours, certains auteurs préfèrent aujourd'hui parler d'art plutôt que de musique pour des raisons à la fois esthétiques, stratégiques et socio-économiques.[ ](Un groupe de réflexion sur l'art/musique acousmatique se réunit chaque été à Crest, en France, à l'invitation de Denis Dufour et Jean-François Minjard.)

( E ) AUDIO ART OU SONIC ART : art sonore.
Terme général et volontairement indéterminé qui s'oppose à l'idée de "musique", trop étriqué et chargé du poids passéiste. Employé par certains compositeurs anglophones ou polonais. (Jan Morthenson, David Keane, Krystoph Knittel, Marek Choloniewsky, John Cousin, par exemple.)

( G ) CINEMA POUR L' OREILLE :
Genre particulier de l'acousmatique, qui privilégie l'emploi de sons quotidiens, reconnaissables, qui peuvent être retravaillés en studio ou non. Ces sons peuvent servir de symboles, de métaphores si la pièce est plutôt narrative, comme ils peuvent ponctuer un phrasé, servir de signaux par exemple, dans une fonction tout à fait abstraite. L'ambiguïté des niveaux de sens est fréquente. (Quelques unes des oeuvres du compositeur québecois Robert Normandeau sont des variations du genre : Rumeurs ; Place de Ransbeck ; Tangram.)

( E ) CONCRETE (MUSIQUE) :
Terme choisi par Pierre Schaeffer en 1948 pour qualifier sa façon d'aborder concrètement le sonore. <<Ainsi le rythme intérieur d'un élément "train" qui, du point de vue du solfège, est de toute importance, perd cette importance dans le parti de composition avec du matériau sonore. Du coup, ce parti, dans mon esprit, porte le nom de Musique Concrète, pour bien marquer la dépendance où nous nous trouvons, non plus à l'égard des abstractions sonores, mais bien des sons concrets, pris comme des objets entiers, irréductibles à telle ou telle composante du solfège>>.
Aujourd'hui, Michel Chion qui, entre autres livres, a eu le mérite de résumer et présenter très clairement les idées de Schaeffer exprimées dans le Traité des Objets Musicaux [Chion 1983], mène une croisade pour réhabiliter l'appelation Musique Concrète pour les musiques de supports réalisées aujourd'hui. Revenir aux origines...

( E ) ÉLECTROACOUSTIQUE (MUSIQUE) :
Terme général qui renvoie dos à dos les mots concret et électronique. La plupart des sources historiques considèrent le Gesang de Stockhausen (1956), comme la première oeuvre électroacoustique. A supposer (ce qui n'est pas prouvé) que dans ce mot, on ait voulu réunir les deux courants antagonistes des débuts, on aurait alors confondu attitude compositionnelle (expérimentale = concrète, déterministe = abstraite, électronique) et sources indicielles (nature prise dans sa globalité, artifice construit brique après brique). Et dans ce cas, de ce point de vue des sources sonores, la Tape Music (1951) pourrait s'appeler électroacoustique.
Actuellement, le terme électroacoustique a remplacé le terme "musique expérimentale" pour désigner une musique fabriquée à l'aide de micros, magnétophones, synthétiseurs, ordinateurs, claviers et modules MIDI... Il désigne donc les moyens techniques et non un style musical ; ce terme s'emploie indifféremment pour des musiques de variétés, de films ou des pièces instrumentales faisant appel aux techniques précitées.

( E ) EXPÉRIMENTALE (MUSIQUE) :
Dans les années 1950-60, beaucoup de studios se sont appelé "expérimentaux" , préférant un intitulé qui mette l'accent sur l'exploration des moyens, sur le vide d'antécédents historiques que cette recherche sous-entendait, et sur le fait que dorénavant, l'essai, l'étude remplace l'oeuvre [Tiffon 1994].

( I ) INTERACTIVES (MUSIQUES) :
Une des approches de la relation instrumentiste-ordinateur (homme-machine) les plus prometteuses. L'instrumentiste contrôle le déclenchement de modules de synthèse ou de traitement, ou même simplement la musique fixée sur un disque dur, à travers un ordinateur. Il est libéré de la contrainte temporelle du son fixé, tout en gardant l'avantage d'un dialogue avec du son minutieusement préparé en studio, par programmation mémorisée.

( I ) MIXTE (MUSIQUE) :
Genre hybride, difficile, qui mélange l'électroacoustique à d'autres univers sonores, à d'autres façon de penser la musique.
Au début, les choses étaient simples : une musique fixée sur support sur laquelle se synchronisaient un ou plusieurs instruments acoustiques. On peut aussi rencontrer la même formation de base, mais avec un instrument électronique sur scène (Live Electronics, chez les anglo-saxons). De plus en plus souvent aujourd'hui on trouve des pièces pour instrument(s) transformé(s), manipulé(s) en direct : instrument et électronique en temps réel. Avec les configurations intermédiaires, comme Zeitlauf de Manoury, pour musique fixée sur support, électronique en temps réel et instruments. La forêt de la mixité est touffue et profonde !
Ces musiques, souvent écrites par des compositeurs plus au courant de l'écriture instrumentale que de la perception morphologique du sonore, du "timbre", déséquilibrent le jeu en faveur de l'instrument, les moyens électroacoustiques étant là, au mieux, pour en élargir les possibilités (c'est généralement le cas des pièces réalisées à l'Ircam), au pire, pour servir de repoussoir, de trame sur laquelle se déploient toutes les ressources virtuoses de l'instrument. Rari nantes in gurgite vasto ! Les pièces réussies n'en sont que plus intéressantes.

( I ) MULTIMEDIA :
Il est tout à fait possible de synchroniser, automatiser, spatialiser la musique électroacoustique avec d'autres médias. Elle joue alors le rôle qui est le sien quand elle n'est plus en situation d'écoute attentive : musique d'application qui passe par un canal de perception parmi d'autres chez l'audio-spectateur, pour renforcer un message général.

( G ) RECHERCHE RADIOPHONIQUE :
Fille de la Radio, la musique concrète, acousmatique a une frontière très floue avec la radio créative (ni reportage, ni documentaire) : Les mêmes techniques (montage), les mêmes ressources sont utilisées dans des champs d'expression différents. Le Hörspiel (Kagel, Ferrari), le travail de Farabet et de Yann Paranthoën pour Radio France, celui de Diane Maheux et Francis Dhomont pour Radio-Canada le prouvent.




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